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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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Jerzy sortit de l’engourdissement qui l’avait anesthésié depuis Niagara Falls. Soudainement terrorisé, il voulut prendre la fuite. La pensée de revoir Anna l’affola. Que pouvait-il lui dire? Plus il approchait de Saint-Norbert, plus il craignait que toute sa rencontre et les sous-entendus qu’il avait cru déceler n’aient été une vaste illusion et qu’Anna ne le reconnaisse même pas.
    Heureusement pour lui, la route fut interminable et il avait repris un peu d’assurance lorsqu’il descendit en remerciant chaudement le chauffeur. Son remerciement fut d’autant plus chaleureux que ce dernier, l’ayant vu grelotter malgré un chauffage à peu près adéquat, avait pris un malin plaisir à lui annoncer qu’il faisait vingt-cinq sous zéro.
    Jerzy ramassa son bagage, vérifia l’adresse et avança vers la maison d’Anna. Puis il recula de peur. Il ne sentait plus le froid même s’il frissonnait. Voilà qu’il se demandait s’il avait rêvé ou non l’invitation d’Anna à venir la voir au Manitoba. Elle parlait toujours en mots enrobés et Jerzy craignait maintenant qu’elle n’ait été que polie. Il avança encore un peu vers la maison, puis, voyant approcher des phares, retourna précipitamment à la route où il tendit un pouce gelé que le chauffeur d’une vieille Dodge verte s’arrêta pour réchauffer.
    – Ne me le dites pas: vous êtes polonais? Franchement étonné, Jerzy acquiesça pendant qu’il jetait sa valise à l’arrière.
    – Je parie que vous allez à Winnipeg!
    Jerzy fit oui de la tête, se sentant incapable d’engager une conversation.
    – Gelé?
    Encore une fois, il confirma silencieusement avant d’offrir à son bienfaiteur une cigarette américaine, achetée à Niagara Falls. Ils fumèrent tous les deux en silence.
    Les lumières de Winnipeg éclairaient l’horizon lorsque l’homme prit des nouvelles de M. Jaworski, le père d’Anna. Jerzy le regarda et comprit que l’homme l’avait vu devant leur maison et en avait déduit: un, qu’il était Polonais; deux, qu’il connaissait les Jaworski.
    – Sa jambe ne le fait pas trop souffrir?
    Jerzy avait le cerveau en alerte. Qu’est-ce que cet homme voulait comme réponse? Qu’avait la jambe de M. Jaworski? Jerzy tira longuement sur sa cigarette, hochant la tête de compassion. L’homme devaits’attendre à une réaction semblable puisqu’il avait parlé de souffrance.
    – C’est quand même bête de se briser une jambe. Pauvre homme! Et pas de relève. Ses fils sont mariés et installés à East Selkirk.
    L’homme se pencha pour écraser sa cigarette et en profita pour regarder Jerzy, qui ouvrit la fenêtre et lança son mégot à l’extérieur, regrettant aussitôt son geste devant le courant d’air qui semblait vouloir l’aspirer.
    – Je parie qu’il n’a pas voulu de vous parce que vous boitez. Ce n’est pas très gentil, mais c’est compréhensible.
    Jerzy se replaça sur la banquette, tentant de plier une jambe qui était terriblement encombrante dans les espaces réduits.
    – Il me semble qu’ils auraient pu vous garder pour la nuit. Où est-ce que vous allez?
    – Au
Y
.
    L’homme le regarda, étonné, mais ne fit aucun commentaire. Il ralentit et le déposa à un coin de rue, lui indiquant qu’il n’avait qu’à marcher droit devant lui. Jerzy le remercia.
    – Ça m’a fait plaisir. Je ne comprends toujours pas pour quelle raison il ne vous a pas embauché. Sa femme et sa fille doivent tout faire. C’est un vieux toqué.
    Jerzy regarda l’automobile s’éloigner dans un nuage de vapeur. Il ne cessa de se répéter ce que lui avait dit l’homme. Il soupira son inconfort, sachant fort bien qu’il n’aimerait pas le père d’Anna s’il était vrai que celui-ci aurait pu lui refuser du travail parce qu’il boitait. Il regarda à sa gauche puis à sa droite, comme s’il cherchait dans les vitrines une réponse à ses questions. Il prit enfin sa valise d’une main fermeet traversa la rue. Il ressortit son pouce et attendit près d’une heure avant qu’on le fasse monter.
    Jerzy fut de nouveau à Saint-Norbert, trois heures après la première fois. S’il était arrivé en été, il aurait hésité, flairé les environs, tournoyé autour de la maison, feint de n’être que de passage, mais le malheur qui semblait s’être abattu sur la famille d’Anna et l’hiver qu’il détestait davantage à chaque pas lui enlevèrent toute envie d’inventer une coïncidence.

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