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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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déjà occupé. N’avais-tu pas remarqué? Pourtant, la dernière fois que tu m’as vue, je souriais sans me cacher la bouche
.
    Ici, tout va bien. Sais-tu que j’ai commencé à donner des cours de violon? J’ai trois élèves et il est question que pour septembre j’en aie quatre de plus. Te rends-tu compte? J’adore ça et les Dussault sont extraordinaires. J’ai toute la salle d’attente de la clinique pour moi seule. Es-tu fier de la petite Pawulska de Cracovie? Moi, je me sens vraiment excitée à l’idée de faire ce que j’ai toujours voulu faire. Penses-tu que maman et Marek en soient contents?
    Élisabeth
    P.-S. Je t’ai ouvert un compte en banque et j’y ai déposé tout ton argent. Envoie-le moi à chaque paie si tu veux. Au moins, tu auras des intérêts
.
    Jan relut la lettre trois fois puis la déposa avec celles de M. Favreau. Comment avait-il pu penser qu’Élisabeth avait attendu son argent pour se faire réparer les dents? Ses patrons y avaient évidemment vu. Pourquoi n’avait-il pas remarqué son sourire? Jan avala sa salive de travers. Se pouvait-il que sa simple présence ait empêché Élisabeth de sourire?

39
    Jerzy entra dans la maison et se hâta de se laver les mains. Anna l’observa d’un œil désintéressé auquel il s’était habitué. Chaque fois qu’ils étaient dans la maison, il redevenait l’homme à tout faire et elle la fille des patrons. Jerzy avait abattu un travail énorme, M. Jaworski étant de plus en plus malade. Résistant à la pénicilline, une infection avait gagné toute sa jambe et le médecin disait qu’il ne fallait pas attendre la canicule de juillet, moins propice à la guérison, pour procéder à une amputation. M. Jaworski avait refusé de se faire amputer, et la maison, depuis ce début de juin, n’avait cessé de résonner de cris et de pleurs. M me Jaworska reprocha à son mari de se laisser mourir. Il lui répondait qu’il mourrait tout d’un morceau et que jamais il n’accepterait d’assister aux obsèques d’un de ses membres.
    – Ou je suis vivant, ou je suis mort. Je ne veux pas avoir un morceau de moi qui vit et un autre qui pourrit. Ce n’est pas le dessein de Dieu.
    – Qu’est-ce que tu en sais? Tu penses qu’il veut que tes enfants soient orphelins...?
    – Mes deux fils sont mariés et ma fille ne cesse d’aguicher le boiteux...
    – Tu veux que je sois veuve?
    – Si c’est ton destin, c’est ton destin. Ton vieil estropié sera remplacé par un jeune estropié, c’est tout.
    Quand ses paroles aux sous-entendus hurlés leur parvenaient, Anna et Jerzy tentaient de ne pas s’en formaliser. Anna n’en rougissait pas moins aux allusions de son père quant à ses sentiments pour Jerzy et celui-ci serrait toujours les mâchoires quand il s’entendait appeler «le boiteux», ou «l’estropié», ou «l’infirme». Dans ces moments-là, Anna s’approchait silencieusement de lui et lui caressait le cou et une joue. Le jour où son père avait crié à tue-tête qu’il ne voulait pas de deux jambes écrabouillées sous son toit, Anna avait poussé le balai jusque devant Jerzy et s’était accroupie pour ramasser les poussières. Elle avait alors discrètement embrassé la jambe meurtrie. C’est ce jour-là que Jerzy s’était juré d’avoir un amour incommensurable et éternel pour Anna.
    La journée avait été désagréable. Jerzy avait mis en terre pas moins de deux cents plants de tomates sans qu’Anna et sa mère puissent l’aider, toutes deux retenues par la maladie de M. Jaworski. Les jardins prenaient forme et Jerzy était fier de voir s’aligner les rangs qu’il devinait maintenant non plus par les ficelles tendues mais par les renflements de la terre.
    – Qu’est-ce que vous en pensez, M. Jaworski? Pas trop mal pour le fils d’un professeur de la «jagellonienne»? Il avait susurré en polonais, les yeux tournés vers le ciel qui n’en finissait plus de dessiner une ligne d’horizon. S’il avait une endurance à toute épreuve en ce qui concernait ses heures de travail, Jerzy ne pouvait tolérer les attaques des moustiques qui ne cessaient de lui vriller le corps. Ce désagrément supplantait presque son plaisir d’avoir les mains dans la terre.
    – Ça ne dure pas longtemps. Le temps qu’ils s’attirent, s’accouplent et pondent et on revoit la progéniture l’année suivante.
    Anna lui badigeonnait de vinaigre les boursouflures.
    Jerzy s’était généreusement aspergé d’eau

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