Même les oiseaux se sont tus
pénétra dans la chambre de Stanislas qui dormait à poings fermés. Il s’agenouilla et passa la main à travers les barreaux pour lui caresser le visage et les cheveux.
– Ce n’est pas parce que je vais habiter Montréal que je vais cesser d’être ton parrain, Stanislas. Tu pourras venir travailler avec moi dans une de mes épiceries, parce que je veux avoir des dizaines d’épiceries. À partir d’aujourd’hui, c’est mon plus grand rêve.
Il regagna sa chambre et s’y accroupit pour tirer les valises rangées sous son lit. Il entendit Élisabethrentrer et la voix d’Étienne qui n’était qu’un murmure rassurant. Quant aux sanglots de Jerzy, ils se faisaient plus souffrants. Jan essuya la larme qui lui chatouillait l’œil et s’interdit d’en faire une autre. Il s’étendit sur le lit, les mains derrière la tête, et essaya de penser à tous ses projets. Il se releva, ouvrit une valise et en sortit sa boîte à souvenirs. Les lunettes de son père ne semblaient pas lui faire de reproches. Quand aux cordes du violoncelle, elles étaient toujours aussi tordues. La demi-alliance d’Élisabeth n’avait plus l’air que d’un triste bout de bois. Il prit le mouchoir de M. Favreau pour le sentir et ouvrit le livre pour regarder ses feuilles d’érable, sèches et foncées. Il saisit son sac de terre, descendit l’escalier et sortit de la maison sans regarder personne. Il marcha jusqu’au bout d’un champ, s’y accroupit et laissa tomber quelques grains de terre de Cracovie qu’il mélangea à la terre de son frère. La terre européenne était si sèche qu’elle eut l’air d’un assaisonnement saupoudrant la terre encore humide du Manitoba. Il prit ensuite un peu de terre du Manitoba qu’il fit tomber dans son sac.
– Jan!
La voix d’Anna avait résonné comme une complainte. Jan leva la tête et sourit à sa belle-sœur qui l’attendait à l’extrémité du champ, les mains jointes sur la poitrine. Il se releva et marcha dans sa direction.
– Tu ne peux pas partir, Jan.
– Je ne veux plus discuter de cela, Anna. Je pars mercredi soir.
– Tu ne peux pas. C’est la Saint-Jean samedi. Nous allons te faire une fête extraordinaire, Jan. Nous allons allumer des feux de joie. Élisabeth et moi, nous allons tresser des couronnes de fleurs et les faire flotter sur laRouge après y avoir allumé des bougies. Nous pourrons même faire une grande chasse au trésor pour trouver la fleur de la fougère.
Jan étreignit sa belle-sœur en lui chuchotant dans l’oreille qu’il n’avait plus besoin de chasse au trésor parce qu’il avait déjà son billet de train. Anna sanglota longuement et il ne l’en empêcha pas. Ils entrèrent tous les deux dans la maison mais Jerzy avait l’air d’autant plus maussade qu’il était bouffi. Élisabeth regardait Jan avec des yeux si suppliants qu’il ne sut que comprendre. Il monta à sa chambre mais à peine avait-il franchi la moitié de l’escalier que la voix de Jerzy lui coupa les jambes.
– Je veux que tu sortes de ma maison ce soir. Tu n’es plus le bienvenu ici.
Jan redescendit lentement et s’approcha de son frère.
– Tu me mets à la porte?
– Non, Jan. C’est toi qui nous as tous mis à la porte.
– Moi?
– Tu as redéchiré la famille, Jan.
– Mais non. La famille va avoir une branche ailleurs, c’est tout.
– De toute façon, tu es mineur et je ne t’autorise pas à partir.
Jan soupira et regarda son frère bien en face.
– Pas depuis avril, Jerzy. Le dégel t’a fait oublier que je vieillissais.
Jerzy accusa le coup. Jan remonta l’escalier pour en redescendre quinze minutes plus tard, portant tout son bagage. Anna se précipita vers lui.
– Reste, Jan. Jerzy a trop de chagrin pour savoir ce qu’il dit.
– Jerzy a trop de chagrin pour entendre ce que moi je dis. Tant pis.
Il enfila le seul manteau propre et léger qu’il avait et sortit de la maison. Il sentit son cœur lui cabosser la poitrine mais il continua à avancer, sans se retourner. Il le fit uniquement lorsqu’il fut certain que les arbres le cachaient. Il fit le tour du jardin des yeux, salua quand même son frère d’un signe de la main et continua sa route.
Jan avait franchi cinq bons kilomètres lorsque l’automobile d’Étienne s’arrêta à ses côtés. Élisabeth abaissa sa vitre et le pria de monter. Il ouvrit la portière arrière, plaça d’abord sa valise à l’intérieur avant de s’y glisser lentement.
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