Même les oiseaux se sont tus
effectivement un très fort air de famille entre les deux.
– Adam et Stanislas se ressemblent encore plus que Jan et Jerzy.
Élisabeth détaillait chacun des traits du visage du bébé. Jerzy essayait d’imaginer l’air qu’aurait son fils dans cinq ans pour voir le visage de ce frère qu’il n’avait jamais connu, emporté dans la mort. Le repas terminé, ils retournèrent dans les champs et réussirent, contre toute espérance, à compléter les derniers semis.
Élisabeth resta au salon, la main dans celle d’Étienne. Jan vint se joindre à eux pendant qu’Anna couchait le bébé et que Jerzy accordait son violon pour sa musique dominicale. Élisabeth demanda à Jan de s’approcher d’elle et lui chuchota qu’elle et Étienne se fianceraient en septembre et se marieraient en décembre. Jan voulut sincèrement se réjouir mais en fut incapable. Il serra la main d’Étienne et embrassa sa sœur sur les deux joues sans proférer un seul mot qui aurait pu ressembler à des félicitations.
– Est-ce que Jerzy et Anna sont au courant?
– Non. Nous allons le leur dire ce soir. Je tenais à ce que tu sois le premier à l’apprendre, Jan.
Jan avait connu tous ses malheurs. Aussi lui jeta-t-elle un regard désespéré devant sa réaction mitigée. Elle aurait juré qu’il était déçu. Il serra les lèvres et annonça qu’il sortait. Élisabeth eut l’air chagrinée, mais elle commença à croire qu’Anna avait peut-être raison et que Jan avait probablement une femme dans sa vie.
Jan passa plus d’une heure à promener sa tristesse et son indécision. Il rentra et fut accueilli par Jerzy qui, un verre de vodka à la main, célébrait la bonne nouvelle.
– Deux choses à fêter ce soir, Jan. La fin des semis et, tiens-toi bien, les fiançailles d’Élisabeth et d’Étienne. Sers-toi.
Jan ne dit pas un mot et se versa un verre plus que généreux, qu’il but un peu trop rapidement. Étienne et Élisabeth étaient resplendissants. Jerzy et Anna se tenaient l’un contre l’autre comme s’ils avaient encore le désir aigu de se découvrir. Jan avala une autre gorgée pour noyer l’affreuse impression qu’il venait d’avoir. Il était terriblement seul. Jerzy et Anna ne tarissaient pas, occupés qu’ils étaient à préparer le mariage d’Élisabeth.
– Vous allez vous marier ici.
Élisabeth n’osa les contredire mais déjà Étienne et elle avaient décidé de le faire en la cathédrale de Saint-Boniface. Jerzy était si touchant à voir en patriarche de la famille que Jan se tut. Il se contenta de remplir et de vider son verre jusqu’à ce qu’il se retrouve dans son lit sans savoir comment il y était arrivé et qu’il entende un lointain écho du violon de Jerzy. Il se leva en grognant, le cœur comprimé. Il entra dans la salle de bains, se passa la tête sous l’eau glacée et sortit de la maison. Il marcha d’un pas décidé, se fiant à son oreille pour retrouver son frère. Il resta un peu à l’écart, attendant que Jerzy finisse la pièce qu’il jouait. Jan pensa que Jerzy était un admirable musicien et qu’il devrait se joindre à un ensemble de musique de chambre. Il regarda ses propres mains, déformées, et fit un rictus de tristesse. Les dernières notes résonnaientencore lorsque Jerzy laissa tomber l’archet. Jan le vit inspirer à pleins poumons l’air du matin qui sentait encore la noyade du printemps. Jerzy desserra les crins de l’archet et le posa, ainsi que le violon, dans l’étui et se signa. Jan tiqua. Il n’avait jamais pensé son frère aussi religieux. Jerzy se tourna enfin et l’aperçut. Il lui sourit aussitôt.
– As-tu mal à la tête?
– Oui. Et au cœur.
– C’est ce qui arrive quand on boit comme un maudit Polonais.
Jerzy éclata d’un rire qu’il cassa presque aussitôt devant l’air sérieux de son frère.
– Est-ce que tu m’en veux d’avoir joué du violon? Jan fit non de la tête et emboîta le pas à Jerzy.
– Est-ce que je t’ai raconté comment j’ai rencontré Anna?
– Oui, plusieurs fois.
– Évidemment. C’est un des plus beaux moments de ma vie.
Jan ferma les yeux et inspira profondément.
– Est-ce que je t’ai raconté comment j’ai rencontré M. Favreau?
– Oui, plusieurs fois...
Jan ne le laissa pas continuer et enchaîna.
– Évidemment. C’est un des plus beaux moments de ma vie.
Jerzy, pressentant ce qui allait suivre, ralentit le pas, de façon presque imperceptible. Jan parla
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