Même les oiseaux se sont tus
pendant qu’elle s’occupait des clients. Florence marcha dans les allées, regardant attentivement les étalages tout en jetant un regard à la dérobée pour voir si Élisabeth était seule. Aussitôt le dernier client sorti, Florence réapparut.
– Ta grand-mère sait que tu es ici?
– Oui. J’ai dit que j’apporterais du pain.
Elle ouvrit sa main et déposa les sous sur le comptoir qu’elle dépassait à peine des épaules et de la tête. Élisabeth demanda à M. Favreau de s’occuper de la caisse pendant quelques minutes, le temps qu’elle discute avec Florence. M. Favreau se glissa derrière le comptoir et Élisabeth sortit sans faire tinter la clochette puisque la porte était ouverte en permanence.
– Pour les vacances, Florence, mais uniquement pour les vacances, tu peux venir tous les soirs si tu veux, mais un soir sur deux serait suffisant.
– J’aime mieux tous les soirs.
– Moi, je vais parler à ta grand-mère. Il faut qu’on te trouve un bon professeur pour le mois de septembre.
– C’est sûr que tu pars?
– Oui, je vais me marier.
– Oh!
Florence ne dit plus rien, trouvant l’idée d’un mariage aussi romantique que celle d’un concert de violon. Elle partit chez elle en courant.
– Ton pain!
Florence freina brusquement, revint vers l’épicerie, prit un pain Wonder brun tranché, salua Jan en lui promettant de le revoir à sept heures et s’élança de nouveau pour disparaître.
– Tu as dit oui?
– Pour l’été. Pour remplacer la colonie de vacances.
– Pourquoi?
– Voyons, Jan, c’est clair! Pour remplacer la colonie de vacances. C’était le gros argument de Florence.
Élisabeth ricana et se remit au travail derrière la caisse.
52
Jerzy entra dans la maison, frappa du talon le tapis râpé pour faire tomber la terre de ses bottes de caoutchouc, se déchaussa et se dirigea vers Anna qui était assise, Stanislas tétant goulûment dans ses bras. Jerzy embrassa sa femme avec tendresse et effleura des lèvres la tête aux fils dorés et frisés de son fils.
– Incroyable! On dirait que l’eau a redonné de la vie à la terre. Malgré les semaines de retard pour les semences, les récoltes vont se faire presque au même moment.
Anna sourit. Jerzy répétait la même chose tous les jours depuis le début du mois de juillet, s’exaltant davantage les dimanches quand il rentrait après être allé jouer son solo de violon.
– On dirait que le vert est plus vert. Tu ne trouves pas?
– Nous avons reçu une lettre d’Élisabeth.
Jerzy alluma sa cigarette lentement avant de reprendre la conversation.
– Est-ce qu’elle dit qu’elle ne reviendra pas?
– Mais non. Elle travaille à l’épicerie de M. Favreau et, tiens-toi bien, elle a une petite élève qui s’appelle Florence.
– Une élève?
– Oui. D’après ce qu’elle écrit, elle n’a jamais vu un aussi grand talent.
Jerzy regarda par la fenêtre. Soudainement, le vert des laitues lui sembla plus terne. Il tira trois ou quatre bouffées de sa cigarette, se leva et se dirigea vers la cuisine, soulevant le couvercle d’une casserole qui, malgré la chaleur ambiante, contenait une bonne soupe.
– Pauvre Étienne!
Anna regarda son mari et fronça les sourcils.
– Pourquoi dis-tu ça?
– Parce qu’Élisabeth ne reviendra pas.
Anna déposa le biberon sur le guéridon et alla étendre Stanislas, déjà assoupi, dans son moïse. Il n’émit qu’un petit son de satisfaction avant de s’endormir profondément. Elle revint vers la table où s’était assis Jerzy et lui servit un bol de soupe qu’il avala sans dire un mot. Ils mangèrent ensuite de la salade fraîchement cueillie et Jerzy se dérida devant le croustillant de la feuille.
– Dommage pour Élisabeth. Je suis certain qu’elle n’a pas autant de fraîcheur à Montréal.
– Ils doivent quand même bien manger. Un épicier, ça achète au marché et Jan connaît...
Anna ne termina pas sa phrase, voyant qu’elle venait de faire une erreur. Elle s’était juré de ne plus parler de Jan tant que Jerzy ressentirait de l’amertume. Elle savait que, sous ses airs goguenards, Jerzy éprouvait un vif sentiment d’abandon. Parfois, elle allait jusqu’à penser que son mari était certain d’avoir échoué lamentablement dans son rôle d’aîné. Il se reprochait le départ de son frère et de sa sœur.
– Quand ta mère rentre-t-elle d’East Selkirk?
– Pas avant deux ou trois semaines. Le temps que ma
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