Même les oiseaux se sont tus
juin. Même Paris est occupé.
– Comme Cracovie?
Zofia avait parlé d’un ton presque neutre mais elle s’anima devant la question d’Élisabeth.
– Presque.
M. Porowski, lui, s’était étonné de ses propos, impressionné par la quantité d’informations qui réussissait à se rendre à Cracovie.
– Est-ce qu’on sait s’il y a eu des bombardements?
Cette fois, Tomasz prit la parole.
– Il n’y en a presque pas eu. Rien n’est confirmé mais peut-être le XVI e arrondissement près de Boulogne. Paris et Cracovie sont deux des villes épargnées. Les Allemands se vantent d’ailleurs d’avoir sauvé les plus beaux monuments gothiques d’Europe. Mais si les nouvelles se confirment, Londres n’aura plus cette chance.
– Hitler l’a déjà dit.
Jan avait parlé rapidement, interrompant et défiant presque son père. Zofia jeta un regard significatif à Porowski, haussant les sourcils pour lui faire comprendre qu’il avait là un exemple de la difficulté pour Tomasz de redevenir le père de ses enfants. Tomasz enleva ses lunettes, frotta le verre droit – il ne touchait que rarement au gauche, craignant de l’abîmer davantage – et les remit avant de répondre calmement à son fils.
– Je suis heureux, Jan, que tu te tiennes au courant des nouvelles. Il est vrai que Hitler a dit ça. Ce que moije dis, c’est que ce ne sont plus des menaces. L’attaque devrait avoir lieu d’ici une semaine.
Jan se leva d’un bond, faisant sursauter toute la tablée. Il se dirigea vers sa chambre pour en revenir avec aux pieds une vieille paire de chaussures ayant appartenu à son frère Jerzy. Zofia et Tomasz le regardèrent avec étonnement.
– Il faut faire quelque chose. Écris-moi toutes les informations et je vais aller les porter.
Tomasz interrompit son fils à contrecœur pour lui dire que cela avait certainement été fait. Le courrier clandestin, lui expliqua-t-il, fonctionnait de deux façons: pour expédier et pour recevoir. Pas du tout rassuré par cette réponse, Jan en prit ombrage.
– Tu veux dire que vous expédiez des messages?
Tomasz hésita. Il était mauvais d’évoquer ces faits devant les enfants. Les adultes devaient, s’ils participaient à la conspiration, le faire à leur insu.
– Cela nous regarde, Jan.
Zofia ne savait plus que dire. Elle trouvait la réponse de Tomasz justifiée, mais voyait bien que Jan était insatisfait.
– Est-ce que le courrier a été expédié par les enfants pigeons voyageurs?
Tomasz ne savait pas du tout où son fils voulait en venir. Zofia, elle, pensa saisir.
– Jan, pourquoi portes-tu les chaussures de Jerzy?
– C’est ma stratégie.
– Ta stratégie?
Jan jeta un regard désespéré en direction d’Élisabeth qui n’avait pas encore dit un seul mot. Elle lui fit comprendre qu’elle prenait la relève.
– Jan et moi, nous ne savions pas que vous expédiiez des messages. Nous pensions que vous en receviez, c’est tout.
– Il est préférable d’oublier la conversation que nous venons d’avoir.
Porowski se demandait pourquoi il lui fallait être le témoin d’autant d’incompréhension. Il se grattait la nuque, question de se donner une contenance. Quelque chose lui échappait et il s’en réjouissait presque. Jan se drapa de fierté dans un vêtement imaginaire et sortit de la cuisine telle une prima donna offusquée. Élisabeth lui emboîta le pas. Les parents se regardèrent, décontenancés, pendant que Porowski décida que la meilleure chose à faire était de se resservir des pommes de terre.
– Jan doit être très troublé pour ne pas terminer son repas.
Jan se déchaussa tristement pendant qu’Élisabeth, assise sur le lit, le regardait faire. Il prit les souliers de Jerzy, tenta de les embuer de son haleine avant de les frotter avec son avant-bras.
– Ils sont trop grands à mon goût.
Il alla les ranger dans une armoire avant de revenir s’asseoir aux côtés de sa sœur.
– Je ne reconnais plus papa.
– Laisse-lui le temps de s’adapter...
– Il ne ressemble plus à mon père, Élisabeth.
Jan avait parlé si fort que sa phrase se répercuta dans la cuisine. Tomasz se figea avant de se lever tout doucement. Il fit signe à Zofia de ne pas le suivre. Il alla s’installer derrière la porte de la chambre où s’étaient réfugiés les enfants.
– Mon vrai père nous expliquait toujours tout. Il me montrait les mouvements des troupes sur une grande carte. Mon vrai père disait
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