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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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résistants de Cracovie. Réfléchis un peu, Jan.
    – C’est ce que je fais. Qu’est-ce que ça donne, toutes les lettres qu’on envoie et toutes les lettres qu’on reçoit, si Londres se fait quand même bombarder?
    – Ça donne qu’il arrivera peut-être qu’on pourra aider quelqu’un à survivre. On ne peut probablement pas sauver toute une ville, mais peut-être une ou deux personnes.
    Jan haussa les épaules. Depuis son retour, Tomasz trouvait que Jan vieillissait trop vite. Il commençait à parler en homme alors qu’il venait d’avoir onze ans. Tomasz était inquiet, voyant en lui une bouche trop grande pour un cerveau encore petit. Zofia, elle, pensait que Jan ferait son chemin, entraînant tout le monde dans son sillon. Tomasz essaya de ne pas se troubler et continua à raconter l’histoire de Londres.
    – Pour te consoler, Jan, je peux te dire que la Luftwaffe a été si étonnée de la résistance qui lui est parvenue des airs que Hitler aurait reporté l’invasion de l’Angleterre.
    En apprenant une meilleure nouvelle, Jan changea d’humeur quelque peu.
    – Est-ce qu’il y a des Polonais dans l’aviation anglaise? Jerzy peut-être?
    Tomasz lui répondit que son frère n’avait pas pu devenir pilote mais que, oui, il y avait des Polonais. Cette histoire de la bataille d’Angleterre rapprocha Jan de son père. Après sa déception de voir le peu d’influence qu’avait son père pour empêcher un bombardement, Jan avait quand même recommencé à être fier de lui. Étrangement, l’estime de Jan augmentait à chaque kilo que Tomasz réussissait à prendre grâce aux courtes visites de M. Porowski. Élisabeth, elle, n’avait pu se pardonner d’avoir ressenti ne fût-ce qu’une once de mépris envers cet homme qui avait survécu là où plusieurs étaient morts.

14
    Le mois de septembre s’était terminé presque langoureusement, entre des brises tantôt chaudes, tantôt tièdes avec, parfois, une gifle de fraîcheur venant des Carpates et promettant un hiver hâtif. Tomasz quitta la maison et marcha la moitié du chemin d’un pas allègre. Dans la rue et dans les Planty, il préférait afficher une quasi insouciance pour ne pas provoquer d’inquiétude chez ses concitoyens. Toutefois, dès qu’il approchait du Wawel, il ralentissait le pas et penchait la tête. Il entrait dans son bureau jamais verrouillé après avoir feint de vouloir saluer les militaires en levant faiblement le bras en proférant un inaudible «Heil Hitler». Son salut demeurait toujours sans écho, et Tomasz souriait intérieurement, heureux d’avoir appris à s’effacer.
    Ce matin du 1 er octobre, Tomasz regarda avec lassitude la chaise bancale, la table râpeuse, l’ampoule nue se balançant au bout d’un fil, et le livre d’histoire, écrit en polonais, grand ouvert devant la chaise. Il était tellement dégoûté d’avoir à le contredire et de perdre ainsi son temps. La journée se comptait en mots et en paragraphes qu’il alignait les uns derrière les autres. Il avait décidé d’améliorer son style, sachant fort bien qu’aussitôt la guerre terminée – ce qui ne saurait tarder, il voulait toujours en être convaincu – tous ses textes iraient gaver les corbeilles à papier avant de mourirdans des feux de joie. Qui, en Pologne, pourrait croire que la victoire des Polonais contre l’armée russe en 1920 avait eu lieu grâce au support de l’armée allemande alors que c’était à la France que l’aide avait été demandée? Tomasz ricana silencieusement sa dérision, triste de voir sa vie à la remorque des intérêts du mensonge alors qu’il n’avait toujours cru qu’en la vérité. Il était déçu de lui-même. Déçu de n’avoir pu refuser de mettre ses connaissances d’historien au service d’un mensonge énorme qui, si l’Allemagne devait gagner la guerre, changerait toute l’histoire d’un siècle.
    Le matin distilla des tonnes d’ennui et l’après-midi remplit de vide les estomacs. Tomasz, étonné des incroyables faussetés ampoulées qu’il avait écrites, certaines carrément grotesques, essuyait ses lunettes lorsqu’il entendit une marée de cris, de bruits de talons sur des parquets de plus en plus égratignés. Il pâlit même s’il s’était juré de ne plus jamais avoir peur pour lui-même. Il arracha presque ses lunettes et se boucha les oreilles, ressentant la terreur de Saschenhausen le vriller juste derrière le nombril. Ses oreilles se firent

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