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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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malheureusement sourdes au silence qu’il aurait voulu leur imposer et les grondements pénétrèrent par tous les pores de sa peau. Il entendit à peine les propos des officiers qui marchaient trop rapidement en passant devant son cagibi, mais il sut qu’un drame secouait l’apparente entente de tous ceux qui levaient le bras devant les portraits omniprésents de Hitler. Il réussit à comprendre que deux opinions s’affrontaient violemment, faisant s’entrechoquer talons et mentons. Certains criaient au scandale en disant que les enfants ne devaient jamais être tués, tandis que d’autres hurlaient à l’hypocrisie, reprochant une morale qui ne tenait plusdevant des prépuces circoncis. Tomasz, arraché de sa torpeur, remit rapidement ses verres pour mieux saisir tout ce qui se passait. Le simple mot «enfant» l’avait secoué et il voulait savoir de quels enfants il était question. Devait-il comprendre que des enfants avaient été exécutés? Tomasz secoua la tête pour effacer cette vision apocalyptique. Pendant que son oreille droite tentait de demeurer attentive, son oreille gauche fut écorchée par une voix plus froide et tranchante.
    – Devant l’opprobre international, le haut commandement affirmera que le bombardement de l
’Empress of Britain
a été une erreur.
    – Mais qui étaient ces enfants?
    – Des Britanniques en route pour le Canada.
    – Des juifs?
    – Nous n’en savons rien.
    – Alors nous dirons que c’étaient des juifs.
    – Nous ne pouvons quand même pas...
    – Le Reich peut tout!
    Si Tomasz s’était vu, il aurait constaté que ses épaules étaient secouées de sanglots silencieux.
    Un officier allemand pénétra à la hâte dans le bureau et claqua la porte derrière lui. Tomasz sursauta et leva la tête. Il eut la certitude que l’officier ne l’avait pas vu. Ce dernier, planté devant un mur vide, lui tournait le dos. Tomasz le vit se frapper nerveusement les cuisses. Puis il l’entendit grommeler des mots inintelligibles. Enfin, à sa grande surprise, l’officier frappa le mur de ses poings avant de le rouer de coups de pied. Tomasz se sentit soudainement extrêmement vulnérable. Coi, il se laissa glisser sur la chaise le plus possible, en équilibre inconfortable sur ses lombaires. Il vit l’officier se calmer, reprendre son souffle, ouvriret fermer les poings avant de se redresser et de frotter sa tunique. Il eut un soupir de découragement puis pivota sur les talons. C’est alors qu’il aperçut Tomasz. Les deux hommes cillèrent en même temps et, pendant d’extrêmement lourdes secondes, tinrent leurs regards au garde-à-vous. L’officier toussota et lui jeta un coup d’œil si sévère que Tomasz eut la réelle impression que ce 1 er octobre serait le jour de son exécution. L’officier se lima presque les dents sous l’effort qu’il fit pour feindre le calme. Il tourna finalement le dos et sortit rapidement. Tomasz l’entendit claquer des talons devant un supérieur avant de continuer sa marche en direction d’un escalier qu’il monta d’un pas pesant.
    Élisabeth se réjouissait. Encore quatre heures et elle aurait treize ans. Depuis trois semaines, sa mère et elle avaient réussi à trouver ce qu’il fallait pour lui faire un vrai repas. L’année précédente, pour ses douze ans, elle n’avait reçu qu’une pomme ratatinée et son anniversaire, arrosé de la tristesse du départ de Jerzy, avait davantage ressemblé à une soirée funèbre même s’ils avaient joué des menuets et des valses. Cette année, elle avait espoir que sa mère lui ait confectionné une nouvelle jupe qu’elle porterait pour le souper. Une jolie jupe imprimée de fleurs roses, peut-être même cousue de dentelles. Élisabeth se regarda dans le miroir de sa chambre, essayant de voir si, de profil, on apercevait le renflement de sa poitrine qui commençait à prendre des formes. Demain, demain elle se redresserait les épaules et le laisserait paraître. À treize ans, on est plus qu’une petite fille, songeait-elle avec fierté. On est une femme. Jan cesserait enfin de se moquer d’elle.
    Élisabeth entendit la porte de la maison s’ouvrir et se refermer doucement. Son père venait enfin de rentrer. Sa mère en serait certainement soulagée, parce que, chaque fois qu’il avait un léger retard, comme ce soir, elle était si nerveuse qu’elle et Jan s’isolaient chacun dans sa chambre pour éviter les semonces et les impatiences habituelles. Mais ce

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