Même les oiseaux se sont tus
s’appuyer l’œil sur la mire. Jerzy retint son souffle.
– Tu veux que mon fusil te pisse dessus?
L’homme pâlit et fit un geste des mains pour calmer le soldat. Il retourna s’asseoir aux côtés de sa femme qui, Jerzy le comprit, avait craint de devenir veuve. La porte fut refermée et Jerzy se demanda comment il pourrait dormir.
La nuit tomba et avec elle le froid commença à se faire mordant. Jerzy se réemmitoufla et se roula en petite boule, les pieds dans les reins d’un vieil homme et les mains sur la tête d’une femme. Il pensa à son père qui lui avait interdit de suivre l’armée et, pour la millième fois, se demanda pour quelles raisons il ne lui avait pas obéi. C’est en se demandant s’il avait eu unepetite sœur ou un petit frère qu’il réussit à se calmer et à s’endormir.
Le train partit finalement, réveillant Jerzy qui fut étonné de voir qu’il avait dormi. Il sentit quelque chose lui mouiller la joue, leva la tête et vit qu’il avait dormi dans une rigole d’urine.
–
Kurwa!
Putain!
Il se mit sur ses pieds aussi rapidement qu’il le put, réveillant les autres passagers qui, avec lui, regardèrent le soleil se lever. Il mit la main dans sa poche et déchira un petit morceau de pain qu’il mastiqua longuement et discrètement pour ne pas attirer l’attention des quelques rares passagers qui n’avaient pas apporté de nourriture.
Le train fit une halte dans une gare et les portes s’ouvrirent sur une foule qui leur tendit du pain et du lait. Jerzy s’assit sur le bord de la porte et achemina la nourriture à l’intérieur. Il chuchota avec une des femmes venues les ravitailler.
– Qui vous a dit que nous étions dans le train?
– Les nouvelles sont allées plus vite que lui. Vous êtes déportés.
– Déportés? On nous a dit qu’on nous relocaliserait.
– Vous êtes à la frontière de la Russie.
– On nous envoie en Russie?
– C’est ce qu’on dit. Dans des camps de travail.
La porte fut refermée et Jerzy transmit le message.
– Un camp de travail? Avec des enfants?
Le train fila dans la terne immensité russe, s’arrêtant parfois à un village pour refaire ses provisions d’eau etde charbon. Lors d’une halte, Jerzy aperçut un homme dont les frusques étaient encore plus misérables que les siennes. Il pensa avec horreur que s’il avait vu le bombardement comme un enfer, il se trouvait maintenant au purgatoire. Ils reçurent quelques provisions de nourriture et assez de charbon pour taquiner un feu au lieu de l’alimenter. Après huit jours, ils se retrouvèrent dans une immense gare et Jerzy apprit qu’ils étaient en banlieue de Moscou. Il pria pour qu’on leur dise qu’ils étaient rendus à destination, mais les portes furent refermées et le train fut aiguillé sur une voie semblable à toutes les voies ferrées dans une campagne qui commençait à changer, la plaine se faisant lentement envahir par la forêt.
Jerzy se demanda si le train avait vraiment une destination ou s’il n’errait pas plutôt, cherchant un endroit où déverser sa cargaison de plus en plus faible, sale et malodorante. Il avait compté qu’il était parti de Lomza depuis trois semaines.
Le train s’immobilisa et les wagons de queue furent détachés des autres. Il repartit presque aussitôt et Jerzy ne sut s’il devait se réjouir d’être toujours relié à la locomotive. Le train s’arrêta encore le lendemain. La porte fut ouverte et Jerzy et les derniers occupants furent presque tirés sur les quais de Niandoma. Le train fou avait atteint sa destination.
12
M. Porowski avait quitté sa campagne, deux sacs de coton noués et portés en joug sur les épaules, et les bras tenant deux cartons bien fermés et bourrés de légumes. Il avait pris le train, essayant d’ignorer la faim dans les yeux de ceux qui salivaient en sentant les francs effluves de son butin.
Sortant de la gare centrale de Cracovie, il se dirigea à la hâte vers les Planty, cette ceinture de verdure qui protégeait le vieux Cracovie de la vue de toute la ville. Lui-même avait habité ce secteur du temps qu’il était professeur à l’École de musique.
Porowski frôla les murs de l’hôtel Polonia, y apercevant trop d’Allemands pour son confort. Il put enfin prendre un des sentiers des Planty derrière le théâtre Slowacki, qui avait déjà diverti les Cracoviens du XIX e siècle et s’était fait bâillonner à au moins deux reprises depuis le début du
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