Même les oiseaux se sont tus
protesta vivement, et elle pria Jan de se hâter afin de ne pas être en retard au travail.
– Tu connais le premier principe...
Élisabeth, qui négociait avec Adam, et Jan, qui s’apprêtait à franchir la porte, se regardèrent et répondirent en chœur:
– Premier commandement de Dieu Pawulski: sachez disparaître même quand vous êtes là! Deuxième commandement: ne regardez jamais un soldat plus haut que le genou. Troisième commandement: répondez par oui ou par non, ne discutez jamais. Quatrième commandement...
– Ça suffit, vous deux. Vous êtes décourageants.
– Oui,
oui!
– Il me semble que vous devriez vieillir un peu...
– Non,
non
, non!
– Adam! Ne te mêle pas de cela. Va commencer ta toilette tout de suite.
Adam s’en alla en dérapant sur le plancher pendant que sa mère le regardait, complètement découragée.
– Cessez donc vos imbécillités. Ce n’est pas un exemple pour votre frère...
– Oui,
non!
Ils éclatèrent tous de rire. Zofia aimait tant voir que ses enfants, quoique meurtris par cette guerre qui n’en finissait plus de les blesser, avaient toujours plein de tendresse pour leur famille. Tomasz et Jan s’entendaient enfin comme larrons en foire tandis que sa fille et elle-même faisaient une douce paire d’amies. Étonnante, cette vie qui les privait aux limites de la tolérance et leur permettait en même temps de se gaver.
– Vite, Jan. Tu devras courir d’ici au Wawel si tu ne veux pas être en retard.
Jan grimaça en prenant connaissance de l’heure et partit au galop.
Zofia accueillit son premier élève le sourire aux lèvres juste avant qu’Adam n’accoure fesses nues avec Élisabeth à ses trousses. L’élève, un Allemandqui n’avait pas plus de neuf ans, haussa les épaules et passa un sec commentaire signifiant que ça ne faisait pas très sérieux de voir un «enfant» se promener nu pendant un cours. Zofia, l’œil moqueur et la voix faussement sévère, répliqua que le pauvre enfant habitait cette maison et qu’évidemment, s’il l’avait pu, il se serait empressé d’aller ailleurs. Elle supplia son élève d’avoir de l’indulgence, promettant qu’un si terrible spectacle ne se produirait plus dès qu’Adam entrerait à l’école, dans deux ans. Elle gronda quand même Adam, pour la frime, jetant un regard entendu à Élisabeth qui se contenta de tenir son frère par la main avant de le traîner pour l’habiller et le conduire chez M me Grabska. Élisabeth revint pour suivre son propre cours et joua assez bien sous l’œil perçant et l’oreille aiguisée de sa mère.
– Élisabeth, je pense que tu pourrais obtenir ton diplôme aussitôt la guerre terminée.
Élisabeth éclata de rire. Sa mère était parfois tellement naïve. Aussitôt la guerre finie, pensa-t-elle. Quel âge aurait-elle alors? Elle allait avoir dix-sept ans. Bientôt elle ne pourrait même plus reprendre le temps perdu et s’inscrire au Conservatoire. Elle aurait dix-sept ans, aucun diplôme et aucun avenir. Si seulement elle avait pu être assez qualifiée pour enseigner la musique, elle aurait peut-être pu en vivre. Zofia avait suivi le fil des pensées de sa fille.
– Je sais à quoi tu penses. Je t’assure que tu es très en avance et que tu pourras enseigner la musique. Croisen l’expérience de ta mère. Si tu ne me crois pas, tu demanderas l’opinion de M. Jacek la prochaine fois qu’il viendra nous voir.
Zofia avait dit la chose comme si elle allait de soi, mais elle savait bien que M. Porowski n’était pas venu depuis le mois de décembre. Elle s’en inquiétait mais disait toujours qu’il avait probablement eu une récolte moins généreuse qu’ils ne l’avaient tous pensé. Intérieurement, elle craignait que son âge n’ait réussi à venir à bout de sa vie. Elle espérait quand même qu’il arrive, tout sourire, quoique craignant sa réaction devant leur «occupant». Zofia appréhendait cette rencontre. Schneider effaroucherait certainement leur fidèle et très cher ami, fournisseur de nourriture.
19
M. Porowski, venu les visiter après une longue absence, était attablé avec la famille, le regard bavard. Schneider était dans la cuisine, regardant Zofia servir et goûter les plats. Son assiette emplie, il suivit Zofia jusqu’à sa chambre. Il leur avait demandé de ne plus l’appeler par son grade, préférant
Herr
. Schneider était sous leur toit depuis bientôt six mois et il n’avait jamais fait un
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