Même les oiseaux se sont tus
le revoient plus avant la fin de la guerre. Jan le ficela dans un vieille nappe cirée et, emmenant Adam, alla le porter à l’extérieur, l’enterrant comme on l’avait demandé.
– Je n’y penserai plus jamais de ma vie, Jan.
– Tu peux y penser, mais ne pas en parler.
Jan partit travailler en courant. Le froid mordant annonçait un Noël trop aiguisé pour les corps amaigris des Cracoviens. En chemin, il rejoignit son père qui avait abandonné sa démarche habituelle pour adopter celle de son «misérable» Polonais.
Noël 1944 fut très triste. Les miroirs avaient été recouverts et les violons sortis de leurs étuis et posés sur la table en souvenir de Jacek Porowski. Toute la journée, les violons et le piano furent contraints au silence. Zofia ne pénétra pas dans la chambre de Schneider. Elle ne vit donc pas qu’il avait, lui aussi, sorti sa flûte en hommage au grand musicien qui l’avait souventes fois ému.
23
Jerzy était heureux. Le nouvel an avait débuté avec un peu d’espoir. Les Allemands avaient craché leurs dernières bombes et tout le peuple anglais travaillait à la reconstruction du pays. En moins d’un mois, Jerzy avait réussi à laisser tomber ses béquilles et il se déplaçait avec deux cannes heureusement d’égale hauteur, ce qui était assez exceptionnel. Son commandement anglais était relativement compatissant mais ses compagnons et lui préféraient se faire le plus discrets possible, sentant bien que les Anglais avaient autre chose à faire que d’écouter les jérémiades des soldats polonais, australiens et canadiens.
L’odeur de roussi qui avait habité sa vie de façon quotidienne s’était enfin dissipée au profit du parfum des bougies qui avait empli ses narines atrophiées. Lui qui avait contribué à la libération de Rome avait dû attendre le premier de l’an 1945, à Londres, pour humer sa première messe récitée par un prêtre en habit blanc et or. Il n’avait pas souvenance d’avoir tant aimé la mélopée du latin.
Ce matin du 7 janvier, il avait le sourire au cœur même si ses jambes, lui avait-on dit, ne redeviendraient jamais plus comme elles avaient été. Il claudiquerait pour le reste de ses jours, mais il pensait que c’étaitmoins pire que la mort qui avait frappé Wladek et ses compagnons du mont Cassin.
Jerzy écoutait les sons presque rassurants du jour. Le soleil s’était montré pendant quelques minutes, question d’égayer le moral des convalescents. Jerzy était demeuré couché sur le dos, souriant encore et toujours à l’idée qu’il aurait bientôt vingt-trois ans. Il ignorait que son jeune frère, encore niché dans les replis du ventre de sa mère le jour de son départ de Cracovie, avait cinq ans ce jour-là. Il avait la conviction que la guerre avait commencé à s’étrangler. Lorsqu’il avait appris que l’Armée rouge avait envahi Varsovie, il avait compris l’ampleur de la débâcle allemande. Bientôt, il en était certain, il rentrerait à la maison, y retrouverait sa famille et demanderait pardon à son père, tout en espérant que ce dernier aurait entendu parler de la bataille du mont Cassin, que certains qualifiaient d’historique. Il lui faudrait aussi annoncer qu’il quittait ses études en lettres pour entrer à la faculté d’agriculture afin d’éventuellement travailler chez M. Porowski. Son père en souffrirait probablement, mais il lui faudrait s’habituer au fait que son fils n’avait rien d’un intellectuel sauf peut-être son amour du violon. Jerzy savait qu’il serait si efficace que M. Porowski lui proposerait sa ferme en héritage. Il accepterait et prendrait soin et de lui et de sa femme jusqu’à ce que l’âge les aspire vers le néant.
Jerzy fronça les sourcils. L’annonce de sa défection de la faculté des lettres serait certes un moment difficile à passer mais son père devrait comprendre qu’il était trop vieux pour continuer ses études là où il les avait laissées. Il devrait accepter que la guerre l’avait changé et qu’il avait davantage envie de pétrir la terre que dese réfugier dans les livres. Il avait vu la terre violée, bombardée, gavée de morts. Il avait depuis longtemps décidé qu’il terminerait sa vie à la panser et à la dorloter. Il voulait trouver une femme qu’il aimerait, et ensemble ils auraient des tas d’enfants. La Pologne pouvait se consoler, Jerzy Pawulski reviendrait pour la soigner et l’aimer.
Jerzy sentit une
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