Même les oiseaux se sont tus
Porowski ne soit pas venu. Il n’aurait pu supporter de nous voir emmener.
– Qui va nous emmener où, papa?
Le matin caressa les fenêtres et Tomasz, le visage grisâtre d’une nuit sans sommeil, écrasa une larme sur la joue qui n’était pas collée sur celle de Zofia.
– Quel dommage de voir notre avenir disparaître par une si belle journée! Zofia, je vais quand même me rendre au travail.
– Il le faut, Tomasz, sinon, ils arriveraient encore plus vite.
Tomasz se rasa si nerveusement qu’il s’écorcha à trois endroits. Il entendait couler l’eau dans la salle de bains de Schneider et se révoltait de l’insouciance probable de celui-ci. Il y avait quelque chose chez les officiers qui l’irritait profondément. Ils semblaient toujours planer au-dessus de tout le monde, même quand les nouvelles de guerre étaient mauvaises. Tomasz ne put manger tant il était chagrin en regardant ses enfants, trop jeunes pour mourir. Adam, qui avait l’innocence pour lui, mangea toute son assiettée et put terminer celle des autres. Ce matin du 11 décembre lui plaisait. Zofia partit chercher le plateau de l’Allemand et le rapporta inentamé.
– Il dit qu’il n’a pas faim.
Jan haussa les épaules. Il avait horreur de la prison dans laquelle ils avaient tous été enfermés.
– Pas étonnant. Peut-être qu’il a un cœur qui fait une crise de culpabilité.
Élisabeth regarda son frère et comprit que son cerveau roulait à toute vitesse. Elle était certaine qu’il trouverait un meilleur plan que le sien pour les sauver. Jan avait tant d’imagination. Tomasz se leva le premier et demanda à Zofia de le suivre dans leur chambre. Il lui répéta toute sa tendresse et son amour. Ils se promirent de s’attendre devant la porte de l’au-delà.
– Penses-tu que Jerzy soit arrivé le premier, Tomasz?
– Oui, Zofia.
Il sortit accompagné de toute sa famille, qu’il embrassa une dernière fois, et fut doublé par Schneider sur le pas de la porte. L’Allemand, les yeux interrogateurs, les regarda et leur sourit imperceptiblement.
–
Frau
vous a fait mon message?
Jan et Tomasz regardèrent Zofia.
– Quel message, maman?
Zofia balaya la question du revers de la main. Non, elle n’avait pas voulu répéter des propos aussi cruels. Elle s’était bien trompée sur cet homme dont la gentillesse cachait une incommensurable cruauté. Elle regarda Schneider s’éloigner et se diriger vers son automobile. Elle attendit qu’il parte avant de se retourner vers Tomasz.
– Rien d’important. Je ne comprends pas pourquoi il insiste. J’avais presque oublié.
– Quel message, Zofia?
Zofia approcha Adam de sa cuisse et, tout en lui caressant les cheveux, elle répéta les propos de Schneider.
– Je ne croyais pas utile de vous le répéter... Enfin... Il a dit que nous ne devrions pas nous priver de manger.
Élisabeth se retourna vers Jan qui venait de donner un violent coup de poing sur le chambranle de la porte encore entrouverte.
– Sadique! Au moins, avec lui, j’aurai appris à haïr.
Adam éclata en sanglots.
– Moi, je ne le hais pas. C’est ma seule grande personne amie.
Sur ces trop déchirantes paroles, Tomasz et Jan partirent pour le travail et saluèrent à plusieurs reprises les trois autres restés derrière. Ils savaient tous qu’ils ne se reverraient plus.
Le jour s’obscurcissait quand résonnèrent les coups au plafond de M me Grabska puis les coups frappés à la porte, sans délicatesse. Zofia ferma les yeux et serra la main d’Élisabeth qui était à ses côtés à préparer le souper. Elles enlevèrent leurs tabliers et se dirigèrent vers la porte, telles des agnelles prêtes à être sacrifiées. Zofia respira profondément avant d’ouvrir. Elle se trouva face à face avec le chauffeur de Schneider, qui l’informa que ce dernier avait été appelé à l’extérieur de Cracovie pour quelques jours et qu’il lui avait demandé de venir chercher ses effets. Zofia le laissa entrer, méfiante, mais le militaire fit exactement ce qu’il avait dit. Il ressortit, beaucoup plus poliment qu’il ne l’avait fait le jour de l’arrivée de Schneider.
La journée de travail était presque terminée lorsque, n’y tenant plus, Zofia demanda à Élisabeth de se rendre au Wawel voir si son père et son frère y étaient toujours.
– Sous quel prétexte, maman? Je ne peux quand même pas arriver au Wawel et chercher mon frère et mon père. Je ne sais même pas où
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