Même les oiseaux se sont tus
ne vivait jamais très longtemps.
– Je ne peux le quitter, Jerzy.
Jerzy fut attendri par cette révélation. La générosité de Pamela était complètement démesurée. Puis il se rembrunit. Devait-il comprendre qu’elle refusait sa demande? Elle s’en retourna vers le couloir et il la suivit, ses béquilles pesant soudainement très lourd.
– Jerzy, c’est mon mari.
Jerzy vacilla un peu. Pamela le remarqua et s’empressa de lui trouver une chaise. Elle le fit asseoir à un bout du couloir et s’assit à ses côtés, le regard tourné vers une fenêtre.
– Il a été blessé au premier bombardement de Londres. Il n’a jamais repris conscience.
Maintenant, ils étaient deux à pleurer. Elle expliqua son trouble et son malaise de savoir tout l’attrait qu’elle avait pour lui alors que son mari végétait deux étages au-dessus. Elle avoua qu’elle avait déjà souhaité qu’il cesse de respirer pour qu’elle puisse redevenir femme. Être la femme d’un Polonais boiteux qui cultiverait une terre elle-même mutilée; la mère d’une ribambelle d’enfants blonds aux yeux bleus; la belle-filled’un professeur qui lui expliquerait ce qui venait de se passer dans le monde abandonné à la folie pendant près de six ans. Être la bru d’une femme qui parlait en musique et la belle-sœur d’une fille aussi habile avec l’archet qu’avec son cœur, d’un garçon aussi retors et malin que drôle, d’un gamin ou d’une gamine qui apprenait déjà à lire.
Elle s’était levée pour se coller le visage à la fenêtre. Jerzy se leva à son tour et, oubliant de prendre ses béquilles, sautilla jusqu’à elle en prenant appui le long du mur. Profitant de l’absence du personnel, du calme de l’étage et de la noirceur, Jerzy l’attira vers lui et, essayant de faire croire à sa conscience qu’elle pouvait dormir, l’embrassa comme un affamé. Pamela le suivit et c’est avec appétit qu’elle s’offrit tout entière même si Jerzy ne pouvait goûter qu’à ses lèvres salées.
Depuis cette soirée que Jerzy qualifiait de maléfique, ils ne s’étaient presque plus adressé la parole et Jerzy avait rangé le violon dans son étui.
– Le violon, Pamela, il appartenait vraiment à votre grand-père?
– Disons qu’il a déjà appartenu à mon grand-père… par alliance.
Jerzy n’avait plus posé de questions. Le violon, il le savait, ne jouerait plus. Jerzy était remonté dans cette chambre du dernier étage. Il y avait pénétré pour y déposer l’instrument au chevet de ce garçon à peine plus âgé que lui. Son intention n’avait été que de lui rendre l’instrument mais il s’était finalement assis quelques minutes, le temps de lui chuchoter combien il aimait Pamela et combien il aurait voulu l’emmener en Pologne. C’est la tête posée près de celle d’une loque disloquée au visage hirsute qu’il avait pleurésa déception amoureuse, ne cessant de lui répéter combien il l’enviait d’être encore aimé d’une femme exceptionnelle.
– Tu es un homme chanceux.
Il regretta aussitôt cette remarque, voyant que l’homme qui se trouvait devant lui n’avait plus d’homme que le nom.
Les médecins décidèrent que Jerzy pouvait sortir de l’hôpital et se chercher une chambre ailleurs, pas trop éloignée de l’institution afin qu’il puisse y revenir régulièrement. Jerzy paniqua, d’abord parce qu’il savait qu’il ne reverrait plus Pamela, ensuite parce qu’il se demandait s’il aurait la force physique de travailler à la reconstruction du pays. Tous ces prétextes lui cachaient assez bien qu’il ne voulait s’avouer sa crainte de s’assumer totalement, ce qu’il n’avait jamais fait de sa vie. Sa mère avait été remplacée par M me Saska, M me Saska par le camp, le camp par l’armée polonaise, l’armée par les hôpitaux. Cette décision, qu’on lui imposait, de le rendre indépendant l’empêcha de trouver le sommeil. Ce n’est que quelques semaines plus tard qu’il se présenta devant son ancien commandement militaire.
– Il est bien exact, major, que l’Angleterre nous offre de rentrer en Pologne?
Jerzy s’était présenté en uniforme, sans béquilles. Il s’habituait à son boitillement.
– Oui. Il y a déjà un groupe qui va être rapatrié de Lübeck le mois prochain ou en juillet au plus tard.
– Mon problème, major, c’est que je voudrais rentrer.
– Mais alors? Jusque-là, il n’y a pas de problème.
–
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