Même les oiseaux se sont tus
étonnement d’Élisabeth.
– Peut-être que je pourrais faire comme une baleine et attraper quelques poissons entre mes dents. Je meurs de faim.
Marek parlait d’une voix terriblement écorchée. Ils partirent à la recherche de nourriture et trouvèrent quelques baies sauvages avant de découvrir une fermette, sa porcherie et son poulailler. Ils estimèrent qu’ils ne pouvaient attendre la tombée de la nuit, à cause des risques que représentait un feu. Il leur fallait manger immédiatement. Marek et Jan restèrent là pendant qu’Élisabeth s’empressait de ramasser des brindilles de bois sec pour faire un feu. Elle les attendit pendant ce qui lui sembla être une éternité. Ils arrivèrent enfin en courant à perdre haleine et, elle n’en crut pas ses oreilles, en riant. Jan tenait deux poules caquetantes de peur et Marek, un cochonnet qui ne cessait de grogner. Tous les deux avaient été souillés par les excréments de leurs prises.
– C’est que vous puez, tous les deux.
– Nous le savons.
– Et qu’est-ce que vous pensez que nous allons faire avec deux poulets et un cochon?
Marek et Jan se regardèrent, roulèrent les yeux et répondirent en même temps
– Manger!
Élisabeth envia un peu la complicité spontanée qui, grâce à un larcin, s’était établie entre les deux. Marek saigna le cochon et Jan égorgea les poules. Ils avaient grimacé à la mort du porcin qui, ils l’auraient juré, avait senti sa fin prochaine car il avait grogné et s’était débattu atrocement. Ils firent un feu sur le rivage et, pendant qu’Élisabeth cuisait les animaux, ils plongèrent de nouveau dans la rivière pour laver leurs vêtements tachés d’excréments et de sang. Leur toilette terminée, ils mangèrent tous les trois autant qu’ils le purent. Jan et Marek entrèrent dans une vive discussion quant à l’endroit où ils étaient, Jan étant certain d’approcher de la Hongrie alors que Marek jurait qu’ils étaient à quelques kilomètres à peine de la frontière autrichienne. Il ébranla Jan dans ses convictions quand il lui dit qu’il n’avait rien déduit mais que c’était quelqu’un rencontré dans sa fuite qui l’en avait informé.
– Il m’a aussi dit que la radio avait annoncé que Mussolini avait été pendu par les pieds.
– Mussolini?
– Oui. Il paraît. On m’a dit aussi que personne ne savait si l’Armée rouge était encore dans Varsovie.
– L’Armée rouge dans Varsovie?
– Oui, depuis janvier. C’est pour ça que je suis parti. Je n’avais pas envie de parler russe.
Jan et Élisabeth laissèrent s’écouler beaucoup de temps avant d’oser demander s’il avait des nouvelles de Cracovie.
– Non. Pas vraiment. Sauf que j’ai entendu dire que le Wawel avait été évacué.
Jan et Élisabeth ne parlèrent plus. Le souvenir de leur dernier jour à Cracovie refaisait rapidement surface, toujours aussi douloureux. Élisabeth se leva,ramassa ses effets, même ceux qui n’étaient pas encore tout à fait secs, remplit son baluchon et leur demanda s’ils étaient prêts à partir. Jan et Marek l’imitèrent et, moins de dix minutes plus tard, le trio avait repris sa marche avec une nouvelle assurance. Marek parce qu’il ne se sentait plus seul, Jan parce qu’il avait une autre personne pour partager la lourde responsabilité de la survie, Élisabeth parce que la simple vue de Marek lui donnait un frisson qui ne ressemblait en rien à ses chairs de poule d’effroi.
26
La fête battait son plein. Jerzy regarda Pamela sourire à tous les soldats. Depuis ce 8 mai où la guerre avait déserté les pays d’Europe pour se contenter d’irriter le Pacifique, tout était prétexte à réjouissances. Jerzy n’avait cessé de jouer du violon. Tantôt il en jouait avec une langueur qui lui rappelait douloureusement sa famille. Tantôt, pour plaire à Pamela, il empruntait les airs et la manière des violoneux pour faire revivre les notes que le grand-père avait dû toucher. Ce 22 mai, Jerzy s’était levé avec la ferme décision de demander Pamela en mariage, ou à tout le moins de la convaincre de quitter Londres et ses ruines pour vivre dans une Cracovie qui, il le savait, n’avait pas été bombardée.
La fête battait encore son plein et les convalescents prenaient du mieux au fur et à mesure que les réjouissances les forçaient à veiller tard et à faire de réels projets. Depuis le 8 mai, Jerzy, lui, avait enfin construit son avenir sur
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