Même les oiseaux se sont tus

soldats enterrèrent sommairement celui qui était tombé et repartirent en traînant les pieds, sans dire au revoir, sans remercier. Jan, Élisabeth et Marek demeurèrent là, muets, assommés, incapables de comprendre que leurs vies entraient dans une nouvelle ère. Jan fut le premier à finalement réagir.
    – Où allons-nous?
    Élisabeth prit son temps avant de répondre.
    – Où allions-nous?
    Ils mirent des heures à chercher une réponse. Ils s’assirent et décidèrent de ne pas marcher mais de dormir pendant la nuit, tous les trois, ce qu’ils n’avaient jamais fait. Ils allumèrent un feu et le regardèrent brûler avec joie, au lieu de craindre que les lueurs et les pétillements n’attirent l’attention. Ils se couchèrent, donnant libre cours à leurs pleurs de soulagement et de désespoir.
    Ils consacrèrent la semaine suivante à réapprendre à vivre sans avoir peur de rencontrer la mort aux carrefours et dans les sentiers. Un paysan les informa qu’il y avait déjà des camps de réfugiés où ils pouvaient se rendre. Élisabeth se réjouit de savoir qu’elle deviendrait officiellement la femme de Marek. Marek sut qu’il deviendrait responsable d’elle pour le meilleur, le pire étant derrière eux. Jan, cependant, ne cessait de se demander où il irait. Il venait de comprendre que,depuis la mort de ses parents, il n’était allé nulle part, la survie n’ayant jamais été une destination mais la seule façon de vivre qu’il connaissait.
    Les bivouacs de nuit devinrent le moment qu’ils privilégiaient. Ils purent faire le point, discuter et rediscuter de leur avenir.
    – Pour vous deux, c’est simple: vous êtes déjà une famille. Moi, je suis seul.
    – Mais non, Jan. Tu sais très bien qu’Élisabeth et moi nous allons toujours être avec toi.
    Parfois, Jan sortait son violon et en jouait, au grand plaisir d’Élisabeth et de Marek. Un de ces soirs chargés d’humidité, il s’amusa à jouer l’air d’une chanson que leur avait apprise l’ami de leur père. Le prêtre.
    – Comment est-ce qu’il appelait ça, Jan?
    – Le
Pot-pourri
. Je m’en souviens parce que je m’étais demandé si c’était un pot de confitures ou un pot de fleurs.
    Élisabeth ricana et commença à chantonner l’air du
Canadien errant
. Et voilà qu’au même moment elle et son frère s’immobilisèrent, se regardèrent et comprirent.
    – Son nom, Élisabeth, tu te souviens de son nom?
    – François.
    – Oui, oui! C’est ça: François. François qui? Ça fait si longtemps!
    Les deux étaient si énervés que Marek les regardait comme s’ils étaient atteints de folie. Il n’avait jamais entendu parler de ce curé.
    – Nous ne l’avons pas tellement connu parce qu’il venait surtout le soir et que nous étions couchés, mais c’était un grand ami de notre père. Ils s’étaient rencontrés à l’université. Une fois, il avait fait les semis avec nous à Wezerow.
    – Et il nous avait appris la chanson.
    – Mais nous l’avons connu assez pour lui écrire…
    – Et lui demander de nous aider…
    – Et peut-être même le rejoindre au Canada…
    – Peut-être même…
    L’euphorie retomba rapidement, ni l’un ni l’autre ne réussissant à retrouver son nom de famille.
    – Élisabeth, fais un effort. Tu avais onze ans la dernière fois que nous l’avons vu. À onze ans, on a de la mémoire.
    – À dix ans aussi, Jan. Ne me rends pas responsable d’un trou de mémoire que tu as autant que moi.
    – Comme nous aurons l’air intelligents! «Excusez-nous, mais nous cherchons un prêtre canadien qui s’appelle François.»
    Ils se couchèrent sans se parler. Jan vivait un profond découragement et pensait qu’ils pourraient peut-être le retrouver si seulement il arrivait à se souvenir de l’ordre auquel il appartenait. Élisabeth se rongeait les sangs, ayant l’impression que la vie leur avait ouvert une brèche dans laquelle ils étaient incapables de se faufiler. Jan parvint finalement à trouver le sommeil alors qu’Élisabeth promenait le doigt autour du nombril d’un Marek endormi, les yeux tournés vers ses souvenirs. Le trou de mémoire était si profond qu’elle ne parvenait pas à en voir le fond. Si seulement elle avait eu de l’argent, un tout petit zloty, elle l’aurait avalé pour avoir une idée de la profondeur du gouffre de sa mémoire.
    Puis le nom lui revint comme un éclair. VILLENEUVE. Elle le hurla si fort que Marek, s’éveillant en