Même les oiseaux se sont tus
États-Unis.
Marek dédramatisait toujours tout et faisait rire sa femme presque de l’aube au couchant. Le soir venu, ses propos changeaient. Ils n’avaient plus l’éclat du soleil mais le chatoiement de la lune. Il enlaçait alors Élisabeth en l’assurant de son éternelle fidélité et de sa sempiternelle reconnaissance qu’elle lui ait sauvé la vie. Élisabeth se laissait câliner avec délice, se demandant toujours pour quelle raison la vie était quand même si bonne avec elle.
Le soleil se levait lentement, radieux, et ils s’encourageaient en pensant tous les trois que dans peu de temps ils seraient à Amberg, ce camp de réfugiés dont on leur avait dit qu’ils pourraient y trouver desreprésentants canadiens. Marek flânait, chatouillant gentiment la nuque d’Élisabeth. Ils s’étaient logés dans un bâtiment abandonné et les rayons du soleil les taquinaient. Jan sortit le premier. Il était toujours le premier levé et le dernier couché. D’une certaine façon, il n’avait jamais perdu l’habitude de veiller sur sa sœur.
Marek regarda Élisabeth et l’attira contre lui pour la bercer comme une enfant. Parce qu’elle était une enfant. Son corps décharné n’avait rien d’un corps de femme, mais son visage, quoique émacié, était si joli qu’il serait retourné à Varsovie, à genoux s’il l’avait fallu, pour la rejoindre. Il lui lissait les cheveux, essayant de les dénouer doucement lorsque ses doigts restaient coincés.
– Est-ce que tu vas me tenir dans tes bras quand nous serons au Canada, Marek?
Pour toute réponse, Marek lui promena sur les lèvres un doigt léger comme une plume. Élisabeth savait que Marek aurait voulu qu’elle soit sa femme entièrement, mais son corps n’avait, pour le moment, besoin que de tendresse. Il ne la brusquait jamais, se contentant de lui dire qu’il avait hâte de voir son vrai visage, celui qui avait des joues et des fossettes, des yeux pétillants et un teint rose pâle.
– Est-ce que nous aurons des enfants, au Canada?
– Quand tu le voudras, ma douce.
– Si nous avons un garçon, est-ce que nous pourrons l’appeler Adam?
Élisabeth ressassait souvent cette histoire mais Marek l’écoutait toujours comme si elle en parlait pour la première fois.
– Si j’avais eu plus de patience, Adam serait avec nous, j’en suis certaine.
Quant à Jan, il lui avait déjà dit qu’il ne voulait plus en entendre parler. Elle était certaine que c’était parce que toute cette journée de janvier le faisait trop souffrir et que lui-même n’avait pas insisté pour qu’Adam demeure avec eux. Marek connaissait tous les détails de la malheureuse histoire d’Adam. En son for intérieur, il trouvait que ce prénom aurait pu porter malheur. Mais Élisabeth le prononçait déjà avec tellement de douceur qu’il savait qu’il la laisserait choisir. Tout ce que faisait Élisabeth était doux. Elle parlait d’une façon qui l’envoûtait. Elle chantait d’une voix un peu rauque et séduisante, usée par la fatigue, pensait-il. Elle le touchait en appuyant les doigts comme si elle voyait d’invisibles cordes tendues sur son dos ou sur sa poitrine. Il l’aimait. Il l’aimait tant, et elle le savait.
Élisabeth gloussait encore de plaisir lorsque Jan poussa des cris de joie.
– Marek! Élisabeth! Venez voir ce que j’ai trouvé. Vite!
Ils sortirent tous les deux et virent Jan arriver au pas de course, tenant les pans de sa chemise. Des petits fruits rouges sautillaient au même rythme que lui.
– Pas du premier cru, mais des fraises! Des milliers de fraises qui attendent d’être cueillies.
Élisabeth savait que Jan les avait probablement volées, mais elles étaient si appétissantes que sa salive noya les tiraillements de sa conscience. Jan avait suivi ses pensées.
– Non, Élisabeth, je ne les ai pas volées. Je n’ai pas aperçu une seule personne, même pas une maison, à des kilomètres à la ronde.
– À des kilomètres?
– Enfin, près du champ de fraises. Deux ou trois barbelés, rien de plus.
Il relâcha sa chemise et les fraises tombèrent sur les pieds d’Élisabeth qui s’accroupit aussitôt pour s’en empiffrer. Marek la regarda faire et donna un coup de coude à Jan.
– Au rythme où elle les mange, il ne nous en restera plus. Je viens avec toi. Nous allons en cueillir d’autres.
Ils partirent à toute vitesse l’un derrière l’autre et Élisabeth se hâta de manger tout ce qu’elle
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