Même les oiseaux se sont tus
beaucoup de choses à faire.
Ils cahotèrent sur les rails de tramway, tournèrent dans la rue Sainte-Catherine et filèrent vers l’est jusqu’à la rue Saint-Denis que M. Favreau décida de monter.
– Ici, ça a longtemps été la rue du Quartier latin. Maintenant, c’est différent.
– Est-ce qu’il y a une université?
– Dans le quartier, des bribes: médecine, architecture, génie. Les autres facultés sont là-haut, sur la montagne.
– Notre père aurait aimé ça.
Favreau les regarda mais ne posa aucune question. Depuis trois mois qu’il faisait du bénévolat à accueillir des réfugiés qui arrivaient au pays et qui n’avaient pas encore atteint l’âge de vingt et un ans, il avait rapidement appris à ne pas poser toutes les questions qui lui passaient par l’esprit. Il avait remarqué que les jeunes essayaient d’être si courageux qu’ils taisaient leurs plus grands chagrins. Ce jeune Pawulski avait parlé de son père au passé. Favreau devait donc comprendre qu’il l’avait perdu. Ils arrivèrent à la rue Sherbrooke et Élisabeth fut fascinée par la largeur de l’artère.
– Attends d’en connaître la longueur. Elle fait plus de vingt milles.
– Vingt milles?
Favreau éclata de rire. Il aimait faire le coup à tous ceux qu’il ramenait. Il s’amusait toujours de leur déconfiture devant les mesures anglaises.
– C’est long?
– Un kilomètre, c’est à peu près six dixièmes de mille.
Jan ferma les yeux et compta rapidement.
– Donc, vingt milles, c’est plus de trente kilomètres. C’est long.
Favreau regarda Jan et ricana de nouveau. Ils arrivèrent à l’avenue du Mont-Royal et Favreau tourna à droite, roulant vers l’est jusqu’à la rue Saint-André, qu’il emprunta ensuite en direction nord. Il stationna presque aussitôt. Jan s’empressa de passer à l’arrière pour ramasser leur bagage.
– C’est ici que j’habite. M me Favreau doit nous attendre.
Ils pénétrèrent dans une épicerie et Élisabeth ouvrit grand les yeux, mais pas autant que Jan dont l’estomac parlait toujours le langage de la faim.
– C’est tout à vous, la nourriture?
– Tout!
Favreau rit encore et passa derrière le comptoir. Il salua un ami qui venait le remplacer lorsqu’il s’absentait, ce qui arrivait très rarement. Il lui présenta ses protégés. Jan prit avec vigueur la main qu’on lui tendait alors qu’Élisabeth la tint mollement, protégeant sa bouche de la main gauche. Jan en fut chagriné.
Ils passèrent derrière le comptoir et montèrent à l’étage.
– Installation idéale. Je peux sortir par le magasin ou utiliser cette porte-ci qui monte directement chez moi. C’est pratique en hiver. Je n’aimerais pas voir M me Favreau monter et descendre les escaliers glacés. Et puis je peux sentir les repas qu’elle me prépare.
Ils arrivèrent dans la cuisine, où la table avait été mise simplement. M me Favreau apparut enfin, les regarda en souriant et leur ouvrit les bras pour les embrasser. Jan était un peu gêné, M me Favreau étant quand même une femme, alors qu’Élisabeth, cette fois, s’abandonna volontiers dans les bras vêtus d’un lainage moelleux de couleur marron.
– Le repas est presque prêt et j’ai pensé que vous aimeriez prendre un bon bain. Je suis certaine que la douche vous a manqué dans le train.
Jan et Élisabeth se regardèrent, étonnés, et acquiescèrent. Élisabeth fut la première à s’exécuter et Jan l’attendit, sagement assis à table, regardant partout autour de lui, un sourire suspendu entre les deux oreilles. M. Favreau avait quitté la cuisine. Tout à coup, Jan l’entendit l’appeler. Il se dirigea vers l’endroit d’où venait la voix après avoir fait une petite courbette devant M me Favreau qui lui fit un petit signe de tête d’encouragement. Jan pénétra dans le salon et vit un amoncellement de vêtements, étendus sur deux fauteuils.
– Choisis donc, Jan, tout ce que tu as envie de prendre.
Jan, incrédule, regarda les vêtements. Ils lui semblaient tous plus beaux les uns que les autres même si, de toute évidence, ils avaient déjà été portés.
– Je les prends tous, monsieur Favreau.
Encore une fois, Favreau éclata de rire et lui suggéra de les essayer avant d’arrêter son choix. Il sortit discrètement pour que Jan ne soit pas mal à l’aise et redescendit à l’épicerie. Élisabeth, elle, était maintenant dans la cuisine, la tête trempant dans
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