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Même les oiseaux se sont tus

Titel: Même les oiseaux se sont tus Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Arlette Cousture
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de monstre marin, endormi au-dessus de l’eau.
    – Quel drôle de pays! fit Jan. Tout est trop grand: les falaises, les forêts, les rivières, les fermes et les ponts. Même les branches des arbres ont l’air trop grandes… et squelettiques. Toutes les feuilles sont tombées.
    Jan sourit en pensant aux chaussures trop grandes qu’il avait portées depuis le début de la guerre. Ici, elles auraient peut-être été adéquates. Le train s’engagea prudemment sur les rails du pont, côtoyant les automobiles dont les passagers saluaient ceux du train. Élisabeth se demanda si ces gens pouvaient voir qu’ils avaient survécu à la guerre. S’ils savaient qu’ils avaient eu faim. S’ils devinaient qu’ils étaient orphelins. S’ils étaient au courant de la mort de plusieurs Marek. Elle pencha la tête en pensant au plaisir qu’auraient eu Tomasz et Zofia de les regarder arriver dans cette Amérique tant de fois vantée par le père Villeneuve. Elle ferma les yeux pour empêcher son émotion d’en couler et de désoler son frère encore une fois. Oui, Zofia et Tomasz auraient été fiers de les savoir en sécurité, de les voir vivants.
    Le train entra en gare, le temps de laisser descendre ceux qui voulaient poser leurs valises de vies sur les quais de la gare du Palais. Jan et Élisabeth en profitèrent pour marcher un peu, étonnés de voir les vieilles maisons, tellement européennes, de la basse ville.
    – Je ne me sens pas trop dépaysé.
    Élisabeth regarda son frère, lui souriant de toutes ses dents. Jan lui rendit son regard, radieux d’abord puis un peu triste.
    – Dès que j’aurai de l’argent, Élisabeth, je t’envoie chez le dentiste.
    Élisabeth cessa immédiatement de sourire, soudainement gênée, consciente qu’elle projetait probablement une image qu’elle n’avait jamais aimée. Elle avait toujours abhorré les sourires ternes ou édentés; elle détestait même les sourires aux dents dorées.
    – Est-ce que mes dents sont affreuses à voir?
    Jan regretta aussitôt sa remarque. La fierté de sa sœur était à peu près tout ce qui lui restait depuis la mort de Marek.
    – Non, pas affreuses. Changées… Épaissies. Je suis certain qu’un bon dentiste va les rendre aussi belles qu’avant.
    Ils remontèrent dans le train et Jan s’en voulut amèrement quand il vit qu’Élisabeth ne souriait plus que la main sur la bouche. Il avait vu tant de gens faire ce geste durant la guerre, pour cacher leurs dents, certes, mais aussi par honte de ressentir parfois un bref plaisir ou une joie furtive. Et voilà qu’il venait de forcer sa sœur à bâillonner son bonheur.
    Les arbres changèrent rapidement et, le temps du trajet entre Québec et Drummondville, se parèrent de rubis, de tourmalines, d’émeraudes et de saphirs.
    – Tu as vu ça, Élisabeth? Ce n’est pas plus beau que le printemps, ça?
    – Je n’ai jamais pensé que l’automne pouvait avoir l’air d’un bouquet. J’ai l’impression d’être tombée dans un coffret rempli de bijoux.
    Les falaises s’affaissèrent peu à peu et le paysage, à part quelques montagnes égarées du troupeau appalachien, se tenait à plat ventre pour s’abreuver dans le fleuve. Trois heures après avoir quitté Québec, le train enfila un ponceau au-dessus du Richelieu et, quoique essoufflé, sembla reprendre courage pour franchir la dernière demi-heure qui le séparait de la gare Centrale. Élisabeth et Jan n’avaient pas attendu que le porteur noir à la casquette rouge traîne leur bagage. Ils se tenaient fin prêts, les fesses sur le bord de la banquette, le manteau sur le dos, les étuis à violon serrés sur leurspoitrines, les yeux rivés sur le fleuve qui apparaissait de nouveau comme un obstacle facilement franchissable par le pont Victoria. Ils firent encore une fois des gestes de la main aux passagers des automobiles, mais aussi à ceux des tramways, à ceux d’un camion à chevaux et aux piétons qui s’arrêtaient quelques secondes de marcher, pour les saluer, certes, mais aussi pour reprendre leur souffle.
    – Quel pays! renchérit Jan. Des ponts qui n’en finissent plus et qui sont presque aussi encombrés que la place du marché de Cracovie.
    Élisabeth éclata de rire, ramassant rapidement les tessons de cet éclat d’une main qui avait accepté cette nouvelle habitude.
    Le train arriva à Montréal et longea un abattoir malodorant. Jan aperçut une vache morte, couchée sur le dos, les pis flasques, à

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