Même les oiseaux se sont tus
côté d’autres animaux qui meuglaient en se dirigeant vers un ponceau couvert, blanc et vert, qui menait directement aux bourreaux de la Canada Packers.
– Je ne sais pas pourquoi, mais tout ceci me fait aussi penser à ce que racontaient papa et les soldats.
Jan haussa les épaules, regarda sa sœur d’un regard appuyé, répétant des yeux qu’il ne voulait pas mêler trop de passé au présent. Pas aujourd’hui. Le train enjamba le canal de Lachine et rampa comme un ver le long de la voie, suivant une courbe à gauche, une courbe à droite. Jan n’avait pas les yeux assez grands pour y accueillir tout ce qu’il voyait. Tantôt il regardait cette montagne de couleurs surmontée d’une croix presque arrogante, tantôt il apercevait les arrière-cours où jouaient des enfants rieurs et insouciants. Il venait à peine d’apercevoir un gratte-ciel quand la gare entradans son champ de vision. Le train pouffa une dernière fois avant de se taire.
Jan et Élisabeth sortirent sur les quais et refusèrent de laisser leur bagage derrière eux, craignant qu’il ne disparaisse pendant ce jour qu’ils passeraient à Montréal. Ils suivirent la foule, leurs sacs bondissant sur leurs genoux.
La gare sentait l’haleine des trains et la transpiration des porteurs. Elle sentait aussi la peur qui, encore une fois, venait de s’emparer de Jan. À Halifax, sa peur s’était appelée peur de tout ce qui évoquait l’uniforme. À Montréal, sa peur s’appelait peur de l’inconnu. Ils prirent l’escalier mécanique et pénétrèrent dans la gare. Ils aperçurent devant eux un groupe de personnes tenant des pancartes. Sur l’une d’elles, ils lurent: P AWULSCY . Étonnés, ils se dirigèrent vers un monsieur rondelet, rougeaud et souriant. L’homme remarqua leur craintive hésitation et c’est avec des yeux plissés par l’expectative qu’il accueillit Jan. Ce dernier, instinctivement, s’était placé en bouclier devant sa sœur. Il n’avait même pas eu le temps de parler que déjà l’homme abaissait sa pancarte et les regardait en arborant un sourire si chaud que Jan se sentit fondre d’une admiration instantanée.
– Êtes-vous Élisabeth et Jan?
Ils firent un discret signe d’assentiment.
– Bienvenue à Montréal! Bienvenue dans la province de Québec! Bienvenue au Canada! Bienvenue en Amérique!
Voilà que cet homme leur parlait polonais. Jan lui sourit et, avant même d’avoir pu dire un mot, il fut arraché de terre par des bras vigoureux, enlacé et embrassé comme s’il avait été une connaissance de longuedate ou un enfant prodigue, comme s’il avait eu deux ans et un immense besoin d’être cajolé. Ses dix-huit ans voulaient nier qu’un tout petit garçon venait de cesser d’avoir peur. Il s’abandonna la tête sur l’épaule de l’homme qui lui posa une main derrière la nuque et lui frotta celle-ci énergiquement avant de le laisser et de concentrer ses effusions sur une Élisabeth raidie par tant d’épanchement et dont le corps de femme était moins malléable dans les bras d’un étranger. Les embrassades terminées, l’homme joufflu leur présenta les autres personnes présentes qui, elles aussi, accueillaient des passagers polonais, avec tout autant d’émoi que l’avait fait leur mentor.
– Mon nom, c’était Wawrow. Mais ici on m’appelle Favreau. C’est plus facile à retenir.
Après quelques minutes durant lesquelles ils firent la connaissance de tous les néo-Canadiens d’origine polonaise venus accueillir les nouveaux arrivants, Favreau les entraîna à l’extérieur et les conduisit à son automobile. Il plaça leur bagage dans le coffre, les fit monter, vint s’asseoir à l’avant, appuya sur le démarreur et lança le moteur dans une pétarade que Jan trouva aussi joyeuse qu’une fête. Ils montèrent la rue Peel, et Favreau, parfait cicérone, leur décrivit tout ce qu’ils voyaient: la gare Windsor, le boulevard Dorchester, l’édifice de la
Sun Life
– le gratte-ciel que Jan avait aperçu plus tôt – et l’hôtel Windsor. Ils virent le mont Royal de plus près et Élisabeth s’extasia encore sur les couleurs.
– Te souviens-tu de ton herbier, Jan? Tu en aurais eu, des feuilles rouges!
– Mon herbier? Vaguement…
– Si on a le temps, on ira cet après-midi. Vous pourrez vous choisir des feuilles parfaites et les apporter dans vos bagages. Je vous donnerai un livre pour que vous les fassiez sécher. Mais d’ici là, on a
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