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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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plus beau Bottes Noires que
    j’avais jamais vu, installé à l’arrière de la première automobile.
    Ça ne pouvait être que lui ! Il était raide comme un piquet, bien
    meilleur que moi lorsque je m’étais tenu au garde-à-vous dans
    la cour. Alors qu’il était assis ! Des boucles blondes
    s’échappaient de sa casquette à aigle. Son visage semblait de
    pierre sculptée. Sa mâchoire était la seule arme dont il aurait
    jamais besoin.
    — Herr Himmler ! ai-je crié. Herr Himmler !
    Il n’a pas réagi.
    Quelqu’un d’autre, si.
    Le Bottes Noires sur le siège passager, à l’avant, a tourné la
    tête. À peine. Suffisamment pour qu’un de ses yeux se pose sur
    moi quelques instants. L’œil paraissait démesuré, comme
    agrandi par le verre rond et épais de ses lunettes. La seule chose
    que cet homme avait de grand, c’était son uniforme. J’ai
    distingué la moitié d’une petite moustache noire – elle avait
    l’air de dégouliner de sa narine –, un cou maigrichon et une
    tête qui rappelait plus de la pâte à pain que du marbre. Était-il
    possible que ce fût là Himmler ? Le numéro deux des Bottes
    Noires ? C’était impensable. On aurait dit oncle Shepsel !
    Je savais comment en avoir la preuve. Ses bottes. Sûrement,
    aux pieds d’Himmler, le Maître-de-Tous-les-Juifs, il y aurait les
    plus belles bottes de la terre. Elles montaient peut-être jusqu’en
    haut de ses jambes. Elles arboraient sans doute des aigles
    argentés.
    Le défilé accélérait. J’ai été obligé de courir pour rester à sa
    hauteur.
    — Monsieur Herr ! Montre-moi tes bottes, monsieur Herr !
    Soudain, je me suis retrouvé par terre. J’avais heurté
    quelqu’un de plein fouet. Me relevant, j’ai distingué un gourdin
    qui se balançait d’avant en arrière sous mon nez. Un bruit de
    baiser sonore a retenti. Une puissante odeur de menthe m’a
    107

    envahi. Derrière la matraque, le défilé a franchi une barrière
    ouverte dans le mur avant de disparaître.
    J’avais deviné qui se trouvait à l’autre bout du bâton. J’ai
    levé les yeux. Buffo. Le pire des Bouses. Le seul dont j’avais
    vraiment peur. Comme tout le monde.
    Personne ne savait comment expliquer l’existence de
    quelqu’un comme Buffo. Il paraissait impensable qu’il fût juif,
    mais il n’était pas non plus un Bottes Noires. Avec les gars, nous
    avions décidé de croire qu’il était un fabricant de saucisses
    varsovien – il ressemblait tellement à un tas de grosses
    saucisses – qui haïssait tant les juifs qu’il avait prétendu en être
    un afin de vivre dans le ghetto. Ainsi, il avait eu le loisir de
    devenir un Bouse et de torturer les juifs tout son content.
    A l’instar des autres Bouses, Buffo n’avait pas le droit d’être
    armé, ce qui ne faisait pas une grande différence pour lui. Il
    aurait refusé de descendre qui que ce soit d’une balle, dans la
    mesure du possible.
    Il n’avait que son gourdin. On racontait qu’il adorait le bruit
    de sa matraque fendant les crânes comme des citrouilles, mais
    -
    c’était faux. Il ne s’en servait presque jamais. Sa vraie
    arme, c’étaient ses mains.
    Il aimait par-dessus tout tuer des juifs de ses propres mains.
    Et pas n’importe quels juifs. Les enfants juifs. S’il ignorait les
    adultes juifs, il n’hésitait pas à se détourner de son chemin pour
    un enfant juif. Parfois, il délaissait les rues et arpentait les
    ruelles et les ruines de sa démarche pesante, se frappant la
    cuisse de son bâton, en chasse. Lorsqu’il repérait sa proie, il
    embrassait son gourdin. Heureusement, il était gras et lent. S’il
    réussissait à rattraper quelqu’un ou à le prendre par surprise, il
    l’assommait à coups de matraque. Puis il enfonçait celle-ci dans
    sa ceinture et agitait les doigts de bonheur à l’idée du plaisir à
    venir.
    Il sentait toujours la menthe. Pas parce qu’il mâchait du
    chewing-gum ou des bonbons. Il mangeait des feuilles de
    menthe, comme d’autres chiquent du tabac. Des résidus verts
    mouchetaient constamment ses lèvres. Qu’on les voie ou qu’on
    sente leur odeur poivrée, c’était qu’on était trop près. D’ailleurs,
    c’est ainsi qu’on en était arrivé à dire qu’un enfant avait été tué
    108

    par Buffo : « Il a senti la menthe. »
    Sa façon préférée de tuer, c’était d’enfoncer le visage de sa
    victime dans son ventre sans fond et de l’étouffer. Lorsque cela
    se produisait,

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