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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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de
    l’autre côté du mur pour en rapporter des victuailles. Je lui ai
    expliqué que je n’arrivais pas à l’en empêcher. Que je n’arrivais
    pas à la protéger. Debout à mon côté, elle restait bouche bée.
    Les traits de son père se sont durcis, enlaidis. J’ai cru qu’il allait
    la calotter, mais il ne l’a pas touchée. Il s’est penché, jusqu’à ce
    que sa figure soit juste devant celle de Janina, tel un Bottes
    Noires inspectant les juifs au garde-à-vous. Il l’a dévisagée
    comme si elle était une étrangère. Il n’a prononcé qu’un mot :
    — Non.
    Elle a esquissé une moue boudeuse. Ses lèvres ont tremblé.
    Ses grands yeux se sont mouillés de larmes. Elle s’est jetée sur le
    matelas. S’est blottie contre sa mère.
    Lorsque je suis sorti, cette nuit-là, elle est restée. Il devenait
    difficile de descendre les marches en douce dans le noir,
    maintenant, car des personnes y dormaient. De plus en plus de
    gens étaient amenés au ghetto en camion. Ils vivaient dans les
    cages d’escalier et les toilettes, dans les caves et sur les toits. J’ai
    tâtonné entre les corps assoupis et attendu dans les ombres de
    la cour. Pas âme qui vive. Sur le trajet, je me suis retourné à
    chaque coin de rue. Personne ne me suivait. Je me suis faufilé à
    travers mon trou, en pensant : «Je suis libre ! »

    Le lendemain, de retour au ghetto, assis au bord d’un
    trottoir, je regardais une fillette, de l’autre côté de la rue, qui se
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    régalait de la morve lui coulant du nez, lorsqu’un cri familier a
    retenti : « Gros lard ! Gros lard ! »
    Je me suis précipité. Pas de doute, c’était Janina ! Accroupie
    au beau milieu de la chaussée. S’égosillant. Faisant la nique à
    Buffo. Le défiant dans une parfaite imitation de moi. J’ai
    reconnu la lueur assassine dans l’œil du Bouse quand il s’est
    approché de sa démarche pesante, postillonnant des bouts de
    menthe, son énorme ventre tressautant.
    Janina a hurlé. Ri. Fui. Je lui ai emboîté le pas. Au premier
    carrefour, je l’ai poussée dans une ruelle. Quand Buffo est
    arrivé, je lui ai jeté des pierres. Ses yeux ont traqué Janina, ses
    doigts se sont recourbés. L’idée de cette brute la fourrant dans
    le ballon mortel de sa panse m’était insupportable. Je me suis
    rappelé Kouba et l’enterrement, au cimetière. Me tournant, j’ai
    baissé mon pantalon et ai montré ma lune à Buffo. Il a rugi, et
    j’ai dû me rhabiller tout en me sauvant.
    Lorsque j’ai enfin rejoint notre cour, Janina était morte de
    rire.
    Je la haïssais de m’imiter en tout. Mes talents ne servaient
    plus à rien, avec elle. Elle était collée à moi comme mon ombre.
    À partir de ce jour, j’ai cessé d’embêter Buffo. Juste histoire de
    la priver d’une chose à copier chez moi.
    Cette nuit-là, j’ai eu beau dévaliser deux maisons, je n’ai
    récolté que quelques pommes de terre germées et une boîte de
    sardines. Encore une fois, Janina était restée au ghetto. J’ai
    laissé tomber une patate par la fenêtre ouverte de l’orphelinat et
    suis retourné à notre chambre, trébuchant au passage sur les
    corps endormis dans l’escalier.
    Une fois couché sur mon manteau, j’ai tendu le doigt vers
    Janina. Rien. Je l’ai cherchée à tâtons. Elle n’était pas là ! Je me
    suis assis. Une idée m’a effleuré, incroyable. Je suis resté assis
    jusqu’à ce que j’entende la porte grincer. Seulement alors, je me
    suis allongé. Je l’ai sentie qui m’enjambait pour gagner sa place
    sur le plancher. J’ai sombré dans le sommeil.

    J’avais posé deux patates et les sardines sur la table lorsque
    j’étais rentré. Au matin, il y avait trois pommes de terre de plus
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    et une crêpe.
    Il en est allé ainsi nuit après nuit : de l’autre côté de
    l’enceinte, au Paradis (à cause d’Enos, c’était ainsi que nous
    appelions le reste de la ville), nous pillions cuisines, caves et
    poubelles – séparément s’entend.
    En bonne petite fille, Janina obéissait à son père : elle ne
    m’accompagnait pas. Elle œuvrait en solitaire.
    Il arrivait que nous nous croisions dans l’obscurité. Une
    fois, nous nous sommes retrouvés à tourner ensemble dans la
    porte tambour de l’hôtel du chameau bleu. Nous avons fait
    semblant de ne pas nous voir. Une autre fois, nous nous
    sommes presque cognés en fourrageant dans la même poubelle.
    Au matin, la table était couverte de notre butin.

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