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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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deviné que c’était Youri
    qui me tenait par la peau du cou et me murmurait :
    — Qu’est-ce que tu fiches ici ?
    — Je t’ai aperçu. Ouille ! (Il me tordait le bras.) Je t’ai
    appelé. Tu m’as pas entendu ? Et toi, qu’est-ce que tu fabriques
    ici ?
    Il m’a secoué comme un prunier.
    — T’occupe. Je travaille à la laverie. Si je te revois dans le
    coin, je leur dis de te descendre. Ici, je ne m’appelle pas Youri.
    Ne m’appelle plus jamais comme ça, plus jamais !
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    Sa main m’a serré le cou. Son haleine me brûlait le visage.
    — Compris ?
    J’ai hoché la tête, à moitié étranglé.
    — Fiche le camp. Et ne reviens plus.
    La porte s’est ouverte, et j’ai été projeté dans le couloir
    vivement éclairé.
    Je m’attendais à tomber sur Janina, dehors. En général, elle
    restait à portée de vue, me suivant tout en prétendant le
    contraire. Je ne l’ai pas repérée. Une partie de moi m’a dit que
    c’était une bonne chose. Une autre partie, que je n’aimais pas
    ça.
    Je me suis évanoui dans mes pénombres et petites rues
    habituelles. Ce soir-là, je n’ai pas visité de nouveaux endroits. Je
    me suis rendu à des poubelles familières et fiables, et à quelques
    placards domestiques non surveillés, des endroits que Janina et
    moi connaissions bien. Je continuais de m’attendre à la
    rencontrer. Je continuais de regarder autour de moi. Rien.
    La lune, comme toujours, avait traversé la moitié du ciel le
    temps que j’aie effectué mes emplettes. Elle était pleine, cette
    nuit-là – la lune que j’aimais le moins. Normalement, je me
    précipitais vers l’enceinte et plongeais littéralement dans mon
    trou. Cette fois, je me suis arrêté près du mur. J’ai attendu,
    accroupi dans le noir.
    Je ne pouvais rester longtemps. Des patrouilles surveillaient
    les alentours. À cette heure, elles étaient les seules sources de
    mouvement dans tout Varsovie. J’ai patienté, espérant entrevoir
    un infime morceau d’obscurité se détacher et courir en direction
    du mur, de moi. Quelque part dans le ghetto, un chien a aboyé,
    un sifflet retenti. J’ai pensé aux autres garçons. Pourvu qu’il ne
    leur arrive rien.
    Une forme a bougé. Un éclat d’argent sous la lune. Une
    patrouille approchait. J’ai fourré mon sac dans le passage, puis
    m’y suis tortillé.
    Une minute plus tard, je l’ai trouvée. Elle était debout,
    immobile, au coin d’une rue. N’essayait même pas de se
    dissimuler. Ni le sac de nourriture abandonné sur le sol à côté
    d’elle. Je ne voulais pas l’interpeller. Je me suis approché
    doucement par-derrière. Elle n’a pas bronché. Elle semblait
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    contempler quelque chose. En l’air. Alors, moi aussi, j’ai vu. Un
    corps se balançait à l’entretoise d’un réverbère dont la lampe
    avait cessé de fonctionner depuis longtemps. Il était suspendu
    par le cou.
    Je me suis demandé pourquoi elle s’était arrêtée. Ce n’était
    pas le premier cadavre qu’elle rencontrait. La mort nous était
    aussi familière que la vie. Même ceux qui respiraient et
    marchaient encore semblaient attendre qu’on leur annonce
    qu’ils étaient morts.
    Alors, pourquoi mon cœur cognait-il si fort dans ma
    poitrine ? Parce que le cadavre – je m’en apercevais maintenant
    – n’avait qu’un bras. C’était un garçon. C’était Olek. Une
    pancarte pendait sur son torse. À la lueur de la lune, on en
    distinguait parfaitement les mots. Mais je ne savais pas lire. Sur
    le sol, l’ombre plate d’Olek se balançait, elle aussi.

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    J’ÉTAIS UN VOLEUR

    Le lendemain, Enos m’a expliqué ce que disait la pancarte.
    — Ils nous pendront tous, a-t-il ajouté.
    — Pas moi, ai-je répliqué. Ils ne m’attraperont pas.
    — Pas moi, a répété Janina. Ils ne m’attraperont pas.
    Enos a ri.
    Nous étions assis sur des blocs de pierre, dans les ruines de
    la boucherie. Personne n’a plus parlé. Ferdi fumait. Kouba était
    perdu dans la contemplation de la boue. Pour une fois, il était à
    court de plaisanteries. Gros Henryk pleurait toutes les larmes de
    son corps. Il a retiré ses chaussures et en a frappé le sol gelé.
    Expédiant ses souliers au diable, il a sangloté encore plus fort.
    — J’ai vu Youri, ai-je lancé.
    Personne n’a relevé.
    — Je hais tes anges ! a décrété Janina en crachant par terre.

    Le lendemain, les premiers flocons de neige sont tombés.
    Les enfants, visage tendu vers le

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