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Même pas juif

Même pas juif

Titel: Même pas juif Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Jerry Spinelli
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elles se réinstallaient, et un ou deux
    corbeaux venaient se poser sur le chargement et profitaient de
    ce dernier voyage.
    J’avais cru que, si un corps était dénué de chaussures, de
    chaussettes ou de manteau, c’est qu’il était mort. Mais un jour,
    sur une carriole, j’ai vu un défunt émerger de la pile et
    s’éloigner. Les ramasseurs s’étaient trompés. En revanche, on
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    pouvait toujours compter sur les corbeaux. Eux ne se
    trompaient pas.
    Certaines personnes mouraient de maladie, d’autres de
    faim. Si je ne valais pas grand-chose contre la maladie, la faim,
    c’était mon rayon. Nourrir ma famille – et, autant que possible,
    les orphelins du docteur Korczak – était le lot que m’avait
    réservé le monde. Les éléments – l’habileté à voler, la vitesse, la
    taille, l’intrépidité imbécile – s’étaient emboîtés pour faire de
    moi le parfait trafiquant de nourriture.
    Janina me suivait partout. Elle était mon ombre. La nuit, je
    franchissais le mur et la retrouvais à mes basques, armée de son
    propre sac. Je ne lui parlais jamais. Prétendais qu’elle n’existait
    pas.
    Nous pillions l’hôtel du chameau bleu. Nous pillions les plus
    belles demeures de Varsovie. Nous avions des cuisines de
    prédilection. L’une d’elles, notamment, parce que nous y
    trouvions toujours des harengs fumés. Nous devions nous y
    sentir particulièrement à l’aise, car nous n’hésitions pas à
    allumer. Une nuit où nous prélevions notre ration de poissons,
    j’ai entendu Janina saluer quelqu’un. Je me suis retourné. Un
    petit garçon se tenait sur le pas de la porte. En pyjama, il plissait
    les yeux, aveuglé par la lumière.
    — Qui vous êtes ? a-t-il murmuré.
    — Je m’appelle Janina, s’est présentée cette dernière,
    soudain très adulte. Et lui, a-t-elle ajouté en me montrant du
    doigt, c’est Misha.
    — Vous êtes des juifs ? a demandé le garçonnet en frottant
    ses paupières de ses poings.
    — Ha ! Ha ! s’est esclaffée Janina. Des juifs ? Jamais de la
    vie ! Pas nous ! Ha ! Ha ! Ha ! T’en veux ?
    Elle lui a tendu un morceau de hareng.
    Le gamin a pris le poisson et, pendant une heure, nous
    sommes restés attablés tous les trois dans la cuisine, à manger
    des harengs saurs, des biscuits secs et des gâteaux arrosés de
    lait. Le lait m’a fait penser au docteur Korczak et à la vache.
    Nous avons expliqué au petit garçon que nous jouions à un jeu
    appelé Chut !, ce qui expliquait pourquoi nous ne parlions ni ne
    riions trop fort. Lorsque nous sommes partis par la fenêtre, nos
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    sacs pleins, il a voulu nous accompagner. Il pleurait. Nous avons
    promis de revenir lui rendre visite, mais je savais que nous ne
    remettrions jamais les pieds dans cette maison.
    Le père de Janina avait d’abord ignoré qu’elle volait à
    manger avec moi. Il était toujours endormi lorsque nous nous
    glissions en silence hors de la chambre. Je crois qu’oncle
    Shepsel, lui, était souvent éveillé, mais il n’a jamais rien dit.
    Puis, une nuit, alors que nous rentrions avec notre butin, nous
    sommes tombés sur une nouvelle revue, dans la cour. Les Bottes
    Noires hurlaient. Les Chiens Noirs grondaient. Les projecteurs
    aveuglaient. « Sales porcs de juifs ! »
    Cachant nos sacs, nous avons rejoint en douce la dernière
    rangée de gens. Puis nous avons cherché les Milgrom. Quand
    nous les avons trouvés, nous nous sommes glissés entre oncle
    Shepsel et le père de Janina. Mme Milgrom m’a choqué. Sa tête
    pendait sur sa poitrine. Son garde-à-vous était carrément
    minable.
    La main de M. Milgrom est descendue pour pincer l’oreille
    de Janina. Celle-ci a couiné.
    — Bande d’animaux puants ! criait un Bottes Noires. Vous
    schlinguez ! Vous ne vous lavez donc jamais ?
    Pourvu que Buffo ne soit pas dans les parages ! Sinon, j’étais
    cuit.
    A l’avant, un homme beuglait dans un porte-voix.
    — Nous savons qui fait ça ! Ceci est votre premier et dernier
    avertissement ! Nous vous prendrons ! Parfaitement ! Et quand
    nous vous aurons pris, nous vous fusillerons ! Si vous avez de la
    chance ! Sinon, ce sera la pendaison ! D’une façon ou d’une
    autre, vous finirez morts. La pendaison est plus lente ! Plus
    douloureuse ! Compris ?
    — Jawohl ! ai-je lancé tout fort.
    J’ai été le seul à répondre.
    Cette fois, c’est mon oreille que M. Milgrom a pincé. Levant
    les yeux vers lui, j’ai demandé :
    — De quoi il parle ?
    — De

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