Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
qui s’était passé. Nous écoutâmes d’abord avec assez d’attention ; mais celui qui portait la parole s’étant servi de termes un peu hautains, notre président l’interrompit en lui reprochant avec sévérité les insultes essuyées et les dangers courus par une députation d’honnêtes citoyens investis d’une mission de confiance par leur section, si injustement qualifiée de faubourg du Nord d’aristocrates, de tourbe de boutiquiers sans patriotisme et ennemis de la Révolution, de riches corrompus, tandis qu’elle n’était au contraire composée que d’hommes généralement peu favorisés de la fortune, presque tous travailleurs, pères de famille et prêts à sacrifier leur vie à leur pays.
Les délégués demeurèrent confondus et demandèrent en grâce qu’on leur donnât le temps de rendre témoignage à la Commune de ce qu’ils avaient vu et entendu. On y acquiesça mais en exigeant que le président, Chaumette et Robespierre, rétracteraient publiquement, le lendemain devant la même députation, les termes injurieux dont ils s’étaient servis et les suppositions offensantes qu’ils avaient émises. Les délégués le promirent et se retirèrent paisiblement.
Le lendemain, tout se passa en effet comme il avait été convenu. Notre députation se présenta de nouveau à l’Hôtel-de-Ville, à l’heure de la séance du conseil général de la Commune, et là, en présence de près de douze cents personnes de toutes classes, Robespierre, Chaumette et le président reconnurent qu’ils avaient été trompés sur le compte des habitants de la section du faubourg du Nord, que mieux informés ils s’étaient assurés, à n’en pas douter, que ces citoyens étaient de braves patriotes dont on n’avait eu qu’à se louer depuis la Révolution. On nous délivra, séance tenante, une copie de ce passage du procès-verbal de la délibération qui constatait si formellement le désavœu des insinuations qui nous avaient blessés la veille, et nous revînmes au milieu de toutes sortes de marques de considération jusqu’à notre section qui avait attendu en armes l’issue de cette seconde démarche. »
J’ai cru devoir rapporter ces incidents tels que mon père en a laissé le récit, pour montrer quelle était la situation de Paris au moment où la déchéance du malheureux Louis XVI venait d’être prononcée, et où sa mise en jugement, son procès, allaient devenir l’objet des délibérations de la Convention nationale. Il est impossible de trouver nulle part le tableau d’une plus désolante anarchie ; car, que penser d’une ville où la guerre civile est si près de s’allumer entre deux quartiers qui parlementent, en se menaçant du fer et du canon.
Aux élections des officiers et sous-officiers de la garde nationale, mon père et mon grand-père furent nommés sergents, et mon grand-oncle, Charlemagne Sanson, caporal. Ce service les obligea à prendre une part plus active qu’ils n’auraient voulu aux manifestations politiques, qui se succédaient à cette étrange époque, où ce qu’on appelait les devoirs civiques avait pris le pas sur toutes les autres occupations de la vie.
Il y avait peu de temps qu’ils remplissaient ces grades, lorsqu’on commença de discuter, dans le sein de la Convention, la mise en jugement du royal captif de la tour du Temple. Cette sanglante page de notre histoire est inscrite en caractères trop ineffaçables pour qu’il soit besoin de la tracer de nouveau. D’autres ont raconté d’une voix dont l’écho retentira à travers les siècles à l’oreille des générations, le drame douloureux qui, de l’enceinte législative, vint se dénouer sur la place de la Révolution. C’est ce dénouement seul que j’ai à raconter, et je sens que c’est déjà une tâche formidable pour ma plume débile.
J’épargnerai donc toutes redites en passant sous silence les luttes oratoires que se livrèrent la Montagne et la Gironde à la Convention à propos de l’auguste victime, que toutes deux devaient s’unir pour sacrifier ; les héroïques efforts de Lanjuinais, cette question de compétence que résuma si énergiquement plus tard Desèze par son éloquente parole : « Je cherche parmi vous des juges, je n’y vois que des accusateurs ; » les expédients de l’appel au peuple et du sursis, les propositions de détention pendant la guerre et de bannissement à la paix, toutes ces capitulations des consciences alarmées du
Weitere Kostenlose Bücher