Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Mémoires de 7 générations d'exécuteurs

Titel: Mémoires de 7 générations d'exécuteurs Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Henri Sanson
Vom Netzwerk:
sept années d’exercice en chef. Dès qu’on commença à se douter que je ne me donnerais guère la peine de défendre des fonctions qu’on me savait antipathiques et pour lesquelles je n’avais point d’héritier ; c’est inouï ce qui s’ourdit de machinations ténébreuses pour me supplanter ou au moins s’assurer ma succession. Si de pareils détails n’étaient au-dessous du lecteur et de moi, je pourrais raconter ici cette curieuse histoire qui montrerait quelque chose de plus étonnant encore que la résignation avec laquelle nous nous soumettions à nos tristes emplois, ce sont les ambitions de ceux qui nous les enviaient. Je crois qu’il serait difficile de trouver nulle part des types plus avilis de l’abjection humaine.
    Mais écartons ce triste sujet et revenons à Charles-Henry Sanson, succédant de fait à son père, en attendant qu’au bout de vingt-quatre ans de cette substitution effective, il lui succède de droit. Il semble que cette circonstance ait été pour Marthe Dubut l’occasion d’entonner son cantique de saint Siméon ; car elle mourut peu de temps après, certaine d’avoir élevé une nombreuse postérité pour le gouvernement de l’échafaud. Depuis quelque temps elle s’affaiblissait de plus en plus et passait les journées entières dans un grand fauteuil à oreilles, où elle travaillait à un interminable tricot, jusqu’à ce qu’elle tombât dans une sorte de somnolence dont il fallait invariablement la tirer aux heures des repas. Elle se levait alors et, malgré la débilité de son grand âge, s’obstinait à vouloir rouler elle-même, avec le seul, concours de Madeleine Tronson, sa bru, le fauteuil sur lequel mon bisaïeul Jean-Baptiste était aussi cloué par la paralysie. Heureusement le salon où ils se tenaient tout le jour était contigu avec la salle à manger, et la brièveté du trajet permettait à Marthe de prendre, sans trop de peine, ce soin maternel qu’elle considérait comme un devoir.
    Sa mort modifia sensiblement les habitudes de la maison. Jean-Baptiste Sanson, autant pour fuir les lieux qui lui rappelaient trop cruellement le souvenir de sa mère qu’il avait adorée, que pour essayer si l’air de la campagne n’apporterait pas quelque soulagement dans la triste situation de sa santé, prit la résolution d’aller se fixer avec sa femme dans cette petite maison de Brie-Comte-Robert, qui n’était auparavant qu’une villégiature passagère. Il ne s’en trouva pas mal, puisque nous l’avons vu au moment de l’exécution du comte de Lally-Tollendal, ayant recouvré assez de vigueur pour tenir une promesse qui, d’une espèce de plaisanterie, était devenue la plus sinistre réalité.
    A partir du départ de son père, quoique bien jeune encore et à peine majeur, Charles-Henry Sanson était devenu le chef de la famille et de la maison. C’est à celui-là que devait être départi le plus long règne sur ce trône de la mort qu’on appelle l’échafaud. Nous avons assisté, pour ainsi dire, à ses premières armes, dans les monstrueuses barbaries du supplice infligé à Damiens comme châtiment d’une tentative de régicide qui avait plutôt le caractère d’un acte de folie que celui d’un crime ; nous le verrons bientôt, instrument fatal des passions révolutionnaires, consommer à son tour un régicide revêtu des formes juridiques ; nous l’avons vu frappant dans Lally et La Barre les victimes de l’intrigue et du fanatisme ; nous le verrons pendant la Terreur, cette orgie de sang, rivé à son implacable tâche, égorger des milliers de victimes. L’arme de la loi n’est plus un glaive : c’est une faulx et il faut à chaque jour sa moisson de têtes humaines.
    Il me paraît impossible de trouver dans aucun pays, sous aucune latitude, sous l’empire d’aucune législation, une personnification plus complète du bourreau, que celle que la Révolution avait créée à mon grand-père. Ministre des représailles populaires, incarnation de la pensée de Marat et de Robespierre, liquidateur des vengeances amassées pendant de longs siècles contre les abus de la monarchie, il semble, à cette époque exceptionnelle, être devenu l’alpha et l’oméga de la politique. La royauté, la Gironde, la Montagne, périssent successivement par ses mains ; toute crise aboutit à lui comme si le sinistre triangle d’acier que ses mains homicides font mouvoir, invention contemporaine qu’on dirait éclose des

Weitere Kostenlose Bücher