Mémoires de 7 générations d'exécuteurs
couteau. Une lutte s’engagea entre l’assassin et la victime, qui, résistant énergiquement, était parvenue à le saisir par les cheveux. Aux cris poussés par son père, le fils coupable accourut ; mais, au lieu de lui porter secours, il se joignit au meurtrier, qui, grâce à ce renfort, put s’échapper. Chabert, épuisé par la perte de son sang, tomba sur le sol, où il resta privé de mouvement.
Des soins donnés à temps auraient peut-être pu sauver ce malheureux ; le monstre sans entrailles qu’il avait pour fils s’éloigna avec l’indifférence stupide de la brute.
Ce crime audacieux avait été commis dans l’enclos du Palais ; les juges du bailliage instruisirent immédiatement le procès. Chabert et Cellier, facilement découverts dans la retraite où ils avaient cru se cacher, furent arrêtés, et une sentence rendue le 12 décembre 1774, déclara : « Mathias Cellier coupable d’avoir assassiné, de guet-apens et de dessein prémédité, le 2 décembre, Antoine Chabert père, en lui portant deux coups de couteau, dont ce dernier était mort dans la même nuit ; et Louis-Antoine Chabert fils, atteint et convaincu de complicité avec ledit Cellier, de l’avoir engagé et sollicité plusieurs fois de commettre cet assassinat, et d’avoir, la veille, essayé devant lui le couteau destiné à commettre le crime. En conséquence, ledit Chabert fils a été condamné à faire amende honorable, nu en chemise, la corde au cou, tenant entre ses mains une torche de cire ardente du poids de deux livres, devant la principale porte de Notre-Dame ; à y être mené par l’exécuteur de la haute justice dans un tombereau, ayant un écriteau devant et derrière portant ces mots : Parricide et coupable de l’assassinat de son père ; et là, tête nue et à genoux, dire à haute et intelligible voix, qu’il a méchamment fait assassiner son père ; après quoi ledit Chabert, avoir le poing coupé sur un poteau placé au devant de ladite église, puis conduit, avec ledit Cellier, dans le même tombereau, sur la place Dauphine, pour y être tous deux rompus vifs, placés ensuite sur la roue, le visage tourné vers le ciel, et demeurer autant qu’il plaira à Dieu leur, conserver la vie ; enfin le corps du parricide être, après sa mort, brûlé sur un bûcher préparé à cet effet, et ses cendres jetées au vent : ses biens et ceux dudit Cellier acquis et confisqués au roi ; ordonnant que la somme de deux cent vingt livres dont ledit Chabert fils était porteur lors de sa capture, et qui a été déposée au greffe du bailliage, soit remise au curé de la basse-chapelle, pour être employée à faire dire des prières pour le repos de l’âme du malheureux Chabert père. »
Le même jour le Parlement confirma la sentence, et renvoya les condamnés au lieutenant-criminel du bailliage du Palais pour faire exécuter l’arrêt.
La rapidité avec laquelle cette affaire fut évoquée, instruite et jugée, montre jusqu’à quel point de pareils forfaits blessaient la conscience publique, et combien on avait hâte de les voir expier par un châtiment exemplaire. Mais cette précipitation s’allie-t-elle bien avec la justice. On dit de Dieu qu’il est patient parce qu’il est éternel. La justice humaine, qui ne peut s’arroger de punir qu’au nom de ce Dieu, source de toute vérité et de toute morale, ne doit-elle pas, à son exemple, se montrer lente si elle veut paraître sûre ? Loin de m’associer aux critiques qu’elles ont parfois soulevées, j’ai toujours approuvé les lenteurs de la procédure criminelle dans la législation moderne. Il est bon que toutes passions aient eu le temps de s’éteindre, toutes impressions extérieures de s’effacer, quand le jour solennel du jugement vient à luire. Nous lisons dans les livres saints qu’il y a plus de joie au ciel pour un pécheur qui revient que pour cent justes qui persévèrent. Il m’a toujours semblé qu’il devait aussi y avoir plus de joie dans le temple de la justice pour une innocence qu’on proclame que pour cent crimes que l’on punit.
Quoi qu’il en soit, le sort de Chabert fils et de son complice n’était que trop mérité. Le parricide étant heureusement un crime rare à cette époque, Charles-Henry Sanson n’avait peut-être pas eu encore l’occasion d’infliger les aggravations de peine qu’édictait l’arrêt : l’amende honorable, l’amputation du poing et la combustion du cadavre. Les
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