Métronome
l’armée française – plus précisément la cavalerie des Armagnacs – sera écrasée par l’armée anglaise. Exactement un an après cette défaite en forme de victoire pour les Bourguignons, Jean sans Peur rencontrera secrètement à Calais le roi d’Angleterre, Henri V. Les deux hommes se partageront leur monde et se diviseront leurs ambitions : les Bourguignons ne s’opposeront pas à la conquête de la Normandie par l’Angleterre, les Anglais abandonneront Paris aux Bourguignons…
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Dans la nuit du 29 mai 1418, à deux heures du matin, huit cents cavaliers bourguignons entrent dans Paris par la porte Saint-Germain-des-Prés et réveillent les habitants.
— Levez-vous, bonnes gens, aux armes ! Vive le roi et le duc de Bourgogne !
Les soldats de Jean sans Peur investissent l’hôtel Saint-Pol, s’emparent de la personne du roi, l’habillent d’un manteau de parade, le juchent sur un cheval et le promènent dans les rues comme une marionnette couronnée. À demi inconscient, replié dans sa folie, Charles VI sourit benoîtement à la foule, totalement étranger aux terribles événements qui secouent sa capitale. Sur Paris souffle un vent de liesse, la population accueille les Bourguignons dans un délire de joie, persuadée que les triomphateurs vont la libérer des mauvais conseillers du monarque, lui apporter l’abondance et repousser le spectre de la misère. Des hordes munies de lances rouillées et de lourdes massues se gavent de sang et pillent les riches demeures des anciens maîtres sur un cri :
— Tuez ! Tuez ces chiens, ces traîtres armagnacs !
Dans cette fièvre, tout le monde a oublié le dauphin Charles, adolescent de quinze ans et unique garant de la postérité de la monarchie. En ces heures dramatiques, un seul homme conserve la tête assez froide pour songer à préserver la dynastie : Tanguy du Châtel, le prévôt de Paris. Il traverse la ville en convulsion, court à l’hôtel Saint-Pol, se précipite dans la chambre où le dauphin, couché sur son lit, se terre en attendant que les événements viennent le surprendre. En catastrophe, le prévôt jette une couverture sur les épaules du prince et l’entraîne vers la Bastille où les vaincus de ce soir se regroupent pour se préserver de la colère parisienne. Quelques heures plus tard, le dauphin sort de la forteresse et gagne une discrète poterne entrouverte et mal gardée. Le futur Charles VII, déguisé en bourgeois, vêtu d’une pauvre houppelande grise et coiffé d’un simple bonnet, flanqué d’une petite troupe de soldats fidèles, franchit la muraille au grand galop, abandonnant une capitale livrée une nouvelle fois à la violence.
Prince sans couronne et apparemment sans avenir, Charles ne sait pas encore qu’il devra reconstruire son royaume ailleurs ni qu’il lui faudra dix-huit années d’improbables combats pour revenir exercer son autorité à Paris.
À Bourges, dont il fait sa capitale, le dauphin Charles se déclare seul détenteur du pouvoir :
— Unique fils, héritier et successeur de Monseigneur le roi et, de par là, par raison et par droit naturel c’est à moi qu’appartient la responsabilité du royaume…
Par missive, il interdit à quiconque d’obtempérer aux ordres du régime illégal qui siège à Paris : « Les rebelles ayant assassiné le chancelier du roi et saisi le grand sceau royal, nous vous interdisons d’obéir à aucune de leurs lettres, hormis les nôtres, scellées de notre sceau privé et signées de notre main. »
Charles se dit le maître du royaume, mais à Paris Jean sans Peur manipule le monarque fou et, en Normandie, le souverain anglais se pare du titre de roi de France. Le pays est écartelé, déchiré, et nul ne peut prévoir qui l’emportera dans cette guerre des princes.
À Paris, c’est la curée. On massacre les Armagnacs et ceux qui y ressemblent. Les chefs, les officiers sont enfermés à la Bastille et là, dans une mise en scène réglée par le bourreau Capeluche, les prisonniers sont appelés un à un par leur nom. Ils doivent sortir en passant par une porte basse qui les oblige à se baisser… Un coup de hache bien ajusté fait rouler leur tête sur les pavés. Même le comte Bernard d’Armagnac n’échappe pas à cette vindicte et périt comme ses compagnons, frappé par Capeluche. Les ruelles du faubourg Saint-Antoine charrient des rivières de sang qui ne semblent pas émouvoir les artisans du quartier. Le
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