Meurtres dans le sanctuaire
toujours été messager du roi. Hélas, c’est faux. J’ai tué au cours d’une bataille un homme, un espion ennemi, qui avait voulu me surprendre. Il arrivait sur moi en courant. J’ai fait faire un écart à mon cheval, et j’ai porté mon épée à la jonction de ses épaules et de son cou.
Colum passa la langue sur ses lèvres sèches. S’était-il trop livré à cette femme qu’il connaissait à peine ?
— Je vois encore l’expression de son visage, reprit-il, son regard effaré, sidéré... C’était peut-être quelqu’un que vous connaissiez.
Saisissant l’allusion, Kathryn demanda aussitôt :
— Vous songez à mon mari ?
— Alexander Wyville soutenait les Lancastre, non ?
Refusant de se laisser entraîner sur ce sujet, Kathryn murmura :
— Mon mari périt il y a bien longtemps, avant de partir à la guerre.
— Savez-vous s’il est mort ?
À son tour, Kathryn fixa le vin dans sa coupe.
— Je n’en sais rien, avoua-t-elle, et je n’ai pas envie d’en parler.
Sous le regard attentif de son hôte, elle sentit un frisson glacé courir dans son dos. Durant le repas, pas une fois elle n’avait perdu son aplomb. Hélas, l’Irlandais l’avait compris, la disparition de son mari était le défaut dans la cuirasse d’austérité et de réserve derrière laquelle Kathryn se protégeait. Jusqu’à présent, certes, elle avait ri et souri, avait mangé et bu, mais pas une fois elle n’avait laissé percer ses sentiments.
Colum se leva de son siège et s’étira, avant de desserrer la large ceinture à sa taille.
— Avez-vous un jardin, Maîtresse Swinbrooke ?
Kathryn le fixa droit dans les yeux. Cherchait-il à la faire parler ? En savait-il davantage qu’il ne l’avait laissé entendre ? Il eut alors un sourire d’excuse et murmura :
— C’est qu’il fait chaud. Je me demandais si nous ne pourrions pas profiter de la fraîcheur du soir.
Kathryn manquait donc à tous ses devoirs d’hôtesse ! Avec un sourire, elle conduisit Colum dans la nuit tiède et veloutée. Ils se tinrent un moment sur la terrasse surélevée, devant le porche. Sous la clarté argentée de la lune, on discernait les carrés de simples et leurs bordures de fleurs blanches dont les corolles accrochaient la lumière ; au-delà s’étendait le petit verger sombre, source du cauchemar secret de Kathryn...
Colum indiqua d’un geste les carrés.
— Vous cultivez les plantes dont vous avez besoin ?
— Quelques-unes seulement. J’achète les autres, mais leur prix est élevé, et la guerre les fait encore monter.
Un sourire de loup se dessina sur les lèvres de Murtagh qui déclara :
— Je suis heureux que la guerre soit finie. Je me sens tellement libre, à présent.
— Vous pensez qu’elle est vraiment finie ?
— Édouard IV, Dieu le bénisse, saura conserver ce qui est à lui. Vous connaissez les nouvelles ?
Comme Kathryn secouait la tête, Colum expliqua :
— Les Lancastre sont anéantis, Marguerite d’Anjou est prisonnière, et son fils a été tué à Tewkesbury.
— Et le vieux roi ?
— Il est mort dans la prison de la Tour.
Kathryn leva les yeux vers le ciel sombre, cherchant à dissimuler son effroi. L’Irlandais venait de lui apprendre que le Lancastre avait été assassiné. Le vieil Henri VI, l’Oint du Seigneur, était mort, tué dans sa prison, aux mains d’hommes certainement semblables à celui qui se tenait ce soir à ses côtés.
— Croyez-vous que notre empoisonneur ait un jardin de simples ? demanda Colum.
— C’est bien possible, mais quelque chose m’embarrasse.
— Quoi ?
— Admettons que cet assassin de l’ombre soit médecin, qu’il connaisse Cantorbéry et les plantes médicinales, et qu’il conçoive un très grand ressentiment à l’endroit du sanctuaire. Cependant, pourquoi écrire ces mauvais vers ? Et pourquoi choisir ses victimes selon leur profession, au lieu de tuer au hasard ? En avez-vous une idée, Maître Murtagh ?
Colum n’eut pas le temps de répondre : Thomasina venait d’apparaître sous le porche, tout agitée.
— Maîtresse ! Maîtresse ! Venez vite !
Kathryn suivit sa servante dans la cuisine.
La table était débarrassée, et le feu mourait dans la cheminée. Thomasina avait préparé, pour le travail de sa maîtresse du lendemain matin, la planche sur laquelle Kathryn coupait ses plantes médicinales, ainsi que le petit couteau dont elle se servait
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