Meurtres dans le sanctuaire
pour ce faire.
— Qu’y a-t-il, Thomasina ?
La servante lui tendit un petit carré de parchemin que Kathryn alla lire à la lueur de la chandelle, de l’autre côté de la table. Dès qu’elle l’eut déchiffré, son pouls s’accéléra. Le message répétait : « Où est Alexander Wyville, ton époux ? Tuer est félonie, et l’on pend les félons. » À côté de ces mots grossièrement tracés, on avait dessiné une potence à laquelle pendait, au bout d’une corde, la silhouette d’une femme vaguement ébauchée.
Un élan de fureur traversa Kathryn qui froissa le parchemin avant de le jeter au feu avec violence.
— Qu’est-ce que c’est, Maîtresse ?
— Rien, Thomasina. Laisse-moi en paix.
Kathryn était blême de rage. Ses yeux sombres noyés d’angoisse rappelaient à la servante l’aspect de sa maîtresse, autrefois, après les terribles querelles nocturnes qui l’opposaient à son mari. Ce soir, pourtant, elle se força à sourire.
— Pardonne-moi, Thomasina, murmura-t-elle, et je t’en prie, va te coucher. Je n’ai plus besoin de toi.
— Je ne me coucherai pas tant qu’il sera là ! s’exclama la servante, indiquant Colum qui avait suivi Kathryn et la dévisageait avec étonnement.
— Votre maîtresse ne risque rien avec moi, gronda-t-il, et je n’en dirais pas autant de vous. À présent, femme, laissez-nous !
Indignée, Thomasina consulta du regard sa maîtresse qui acquiesça. Alors, rouge de colère, elle se retira. Kathryn l’entendit descendre le couloir, puis monter lentement l’escalier en bois jusqu’à sa chambre, tandis que, tournée vers la cheminée, elle regardait les flammes réduire en cendres l’odieuse missive anonyme. Qui lui envoyait ces messages malveillants ? Où avait disparu son mari ? Qu’était-il arrivé dans le jardin ? Son père avait-il dit la vérité, lors de son ultime confession ? Kathryn devrait peut-être retourner parler au père Cuthbert ? Oui, le moment était sans doute venu de...
Elle sursauta quand Colum lui prit la main.
— Kathryn, que vous arrive-t-il ? Votre paume est froide comme la glace.
Elle le fusilla du regard.
— Lâchez ma main, Irlandais !
Au lieu d’obéir, Colum la serra doucement dans la sienne.
— Lâchez-moi, vous dis-je ! s’écria Kathryn. Croyez-moi, soldat, il y a d’autres moyens de tuer que la dague, l’épée ou la lance ! Du verre pilé mélangé à du vin transformerait en bouillie sanglante les boyaux du plus aguerri des hommes.
Abandonnant sa main, Colum recula d’un pas. Kathryn le regardait toujours avec fureur. Au nom du Ciel, que faisait-il ici chez elle, avec sa ceinture de guerre, sa dague et son épée ? Elle était lasse, soudain, et ressentait un léger vertige. Gagnant le fauteuil à haut dossier de son père, au coin du foyer, elle s’y laissa tomber, fixant le feu. Pourquoi la vie autrefois si heureuse avait-elle changé ? Pourquoi...
Un mouvement derrière elle la tira de ses pensées.
— Vous devriez partir, dit-elle sans se retourner.
Elle entendit le pas de l’Irlandais s’éloigner et guetta le bruit de la porte. Les yeux clos, elle refoulait ses larmes. Pourquoi avoir montré tant de rudesse à l’égard de Thomasina ? Kathryn ne lui avait même pas demandé comment était arrivé le message. Quant à Murtagh, elle l’avait congédié alors qu’il... Voilà qu’il revenait ! Kathryn ouvrit les yeux. Il avait mis son manteau et tenait deux coupes de vin. Il lui en tendit une.
— Buvez, femme, pour l’amour du Ciel, buvez ! Vous avez peur, c’est visible.
Il s’accroupit à côté d’elle, les yeux fixés sur les braises de l’âtre. On eût cru qu’il regrettait de ne pouvoir reprendre le message afin de déchiffrer ce qui avait ainsi terrifié son hôtesse.
— Je ne vous veux que du bien, Maîtresse, et je prie Dieu qu’il vous protège. Cependant, désormais, ce qui vous afflige m’afflige aussi.
Dites-moi, ce message parlait-il des meurtres ?
— Non.
— Dans ce cas, qu’est-ce qui vous a ainsi effrayée ?
— C’est mon affaire.
— Puis-je vous aider ?
Kathryn but une gorgée de vin avant de porter les yeux sur l’Irlandais. Avec son visage ouvert et ses yeux francs, il évoquait un jeune garçon, songea-t-elle. Et s’il pouvait l’aider ? Mais Alexander, le matin, après s’être lavé, rasé, s’être rincé la bouche, avait parfois aussi cet air confiant et
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