Meurtres dans le sanctuaire
voix était dure.
— Donc aucun d’entre vous ne peut me rendre compte précisément de ses occupations, hier après-midi ? L’un ou l’autre a fort bien pu passer une cape pour se joindre à la foule, puis administrer le poison avant de disparaître.
Ce fut Chaddedon qui répondit :
— En effet, Maître Murtagh, tout est possible. Nous en avons parlé. N’importe lequel d’entre nous pouvait se glisser dehors à l’insu des autres et commettre cet horrible forfait, puis en prévoir un autre. Mais, par tous les saints du Ciel, monsieur, je dis et je répète qu’il se trouve d’autres gens à Cantorbéry qui auraient pu agir de même.
— J’en conviens, admit Newington sans l’ombre d’une hésitation. J’ai moi-même, avec Luberon, établi la liste où vous figurez, messieurs, mais nous aurions pu y ajouter d’autres noms. Pourtant...
Les paroles du magistrat se précipitèrent, parce qu’il avait surpris le regard de mise en garde de Colum :
— Pourtant, je ne vois pas qui cela pourrait être. J’ai soigneusement examiné la liste de Luberon, et ceux qui ne sont pas mentionnés sur notre liste de suspects sont trop vieux, infirmes, ou encore ils ont quitté la ville. Tambourinant doucement du poing contre la cheminée, le magistrat sourit.
— Dans le même temps, comment porter le blâme sur Maître Murtagh ou Maîtresse Swinbrooke ? Ces assassinats sont maintenant de notoriété publique. Les hostelleries et les tavernes enregistrent déjà une baisse de leur commerce, et Luberon m’a assuré que les hommes élus au nouveau parlement du roi présenteront une pétition pour se plaindre des forfaits horribles commis dans cette ville.
— Avez-vous expliqué à mes collègues ce que nous avons découvert cet après-midi ? lui demanda Kathryn.
Newington secoua la tête.
— Ce n’était pas à moi de le faire, Maîtresse.
— De quoi s’agit-il ? demanda aussitôt
Darryl. Vous avez des indices ?
Croisant les mains, Kathryn observa attentivement les médecins qui lui faisaient face et annonça :
— Le meurtrier choisit ses victimes selon leur profession. Cela en soi constituait un mystère jusqu’à ce que nous ayons compris que le poète Chaucer, dans le prologue de ses Contes de Cantorbéry, énumère les mêmes professions.
— Quelle est cette absurdité ? s’exclama Darryl.
— Je crois avoir été claire, Maître Darryl. Connaissez-vous l’oeuvre du poète Chaucer ? Darryl secoua la tête et regarda son beau-père.
— Non, je ne le connais pas. Et vous, Père ?
— Seul son nom m’est familier.
— Maître Cotterell ? demanda Colum.
Le médecin croisa les jambes et hocha la tête.
— Oui. Je possède même une copie des Contes de Cantorbéry.
— Nous aussi, intervint Chaddedon. L’auriez vous oublié, Matthew ?
Chaddedon se tourna vers Straunge :
— Vous êtes témoin, Edmund, à la dernière Saint-Michel, nous avons feuilleté ce livre dans notre propre bibliothèque.
— Eh bien, je ne l’ai pas lu ! s’obstina Darryl. Chaddedon haussa les épaules.
— Allons, Matthew, ce n’est pas ce que je dis. On nous a posé une question et j’y réponds. Nous avons une copie des Contes de Cantorbéry dans notre bibliothèque, au premier étage, Straunge et moi avons lu ce livre.
— Depuis quand est-ce un crime d’avoir lu l’oeuvre d’un poète ? protesta Cotterell d’une voix chevrotante. Chaucer est très connu, beaucoup l’ont lu, d’autres pas. Connaître sa poésie n’est pas la preuve que l’on est coupable de meurtre, tout de même ! Kathryn haussa les épaules.
J’en conviens, évidemment. Je posais une simple question.
En avez-vous d’autres semblables ? demanda Darryl.
Ce fut Colum qui répondit :
— Oui, et c’est moi qui les poserai. Nous sommes en présence d’un assassin qui empoisonne des pèlerins venus visiter le sanctuaire du bienheureux Thomas. D’après Maîtresse Swinbrooke, le meurtrier nourrit de la rancune contre ce sanctuaire, l’peut-être s’y est-il rendu pour demander une guérison et a-t-il été amèrement déçu. Serait-ce le cas de l’un d’entre vous ?
Darryl bondit sur ses pieds, furieux, et, après avoir regardé la bougie des heures, s’écria :
— Dieu du Ciel ! Nous n’allons pas passer toute la nuit à ergoter sur des questions stupides. J’ai faim, moi ! Il est l’heure de souper.
— Si stupides soient-elles, répliqua Kathryn, nos questions
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