Milena
détenues
seraient transférées dans un camp où le travail était facile. Une commission
médicale fit même son apparition et examina les malades. Puis, un jour, deux
camions vinrent emporter les premières. Le soir même, Milena me raconta, horrifiée,
que l’on avait jeté de grandes malades sur une litière de foin, dans les
camions, que l’on avait traité de la manière la plus inhumaine qui soit ces
personnes souffrantes. À partir de cet instant, elle n’eut plus aucun doute
concernant le but de ces transports.
Deux jours plus tard, nos plus sombres supputations se
trouvèrent confirmées. Les mêmes camions étaient revenus à Ravensbrück et
avaient déchargé devant l’intendance une montagne d’objets : uniformes de
détenues avec les numéros de celles que l’on avait emmenées, prothèses
dentaires, lunettes, une béquille, des peignes, des brosses à dents, du savon… Le
camp fut saisi d’effroi. Nous n’avions plus dès lors la moindre illusion
concernant le but de ce prétendu transport de malades. Et notre amie Lotte qui
se trouvait dans la section des tuberculeux… Milena se tourmentait, s’accablant
des pires reproches. Elle fit procéder l’un après l’autre à de nouveaux examens
d’échantillons d’expectoration de Lotte, dont les résultats furent, bien entendu,
négatifs. Puis elle s’en alla assiéger le médecin SS Sonntag, lui demandant de
faire quitter à Lotte la section des tuberculeux, affirmant que, de façon tout
à fait surprenante, elle avait guéri. Sonntag connaissait Lotte car elle avait
travaillé à l’infirmerie ; de ce fait, il ne la plaça pas sur la liste de
celles qui devaient être liquidées. C’est ainsi qu’elle échappa à une mort
certaine.
Les transports se succédaient, emportant les détenues hors
du camp, et les camions rapportaient avec une régularité atroce les effets de
celles que l’on avait tuées. Lorsque celles qui étaient atteintes de « maladies
héréditaires » eurent été exterminées, de nouvelles listes furent établies
– comportant cette fois les noms de toutes les détenues juives. Pour Milena
comme pour moi, le sens de cette mesure n’était que trop clair ; mais, aussi
incroyable que cela paraisse, nos codétenues juives avec lesquelles nous
parlions de ces listes et que nous regardions le cœur déchiré s’efforçaient de
nous convaincre que l’on allait certainement les transférer dans un autre camp.
Les conduire à la mort ? Allons donc ! Cela ne tenait pas debout !
Elles étaient jeunes, fortes, aptes au travail ! Il y avait, dans le
premier transport, une femme médecin juive qui nous avait promis de glisser un
message dans l’ourlet de sa robe, nous indiquant le but de leur voyage et nous
informant de son destin et de celui de ses compagnes. Nous trouvâmes le billet.
Elle y avait écrit : « Ils nous ont emmenées à Dessau. Nous devons
nous déshabiller. Adieu ! »
Comparée aux horreurs qui s’abattaient alors sur nous, la
première année et demie que nous passâmes à Ravensbrück pourrait presque
sembler une idylle. Après le transport des malades, il n’y eut plus que l’épouvante.
Des femmes et des jeunes filles polonaises furent fusillées en vertu de la loi
martiale. Le soir, à l’heure de l’appel, quand régnait un silence de mort dans
le camp, on fusillait les victimes derrière le mur. D’autres événements vinrent
accroître la panique : opérations expérimentales pratiquées sur des
condamnées à mort, assassinat de malades par piqûres d’Evipan. Toutes les faibles,
toutes celles qui étaient gravement malades étaient vouées à la mort. Mais ce n’est
qu’au cours de l’hiver 44-45 que Ravensbrück, l’ex-« camp modèle », devint
un camp d’extermination et que l’horreur atteignit pour nous son comble. Une
chambre à gaz fut construite. On pratiquait, comme le disait une directive SS,
« l’élimination de tous les éléments inférieurs du point de vue biologique
et racial », on « liquidait radicalement toute opposition de la part
de détenus politiques inamendables qui se refusaient fondamentalement à se
conformer à la vision du monde de l’État national-socialiste »…
Celles qui font du zèle
Milena faisait partie du petit nombre de celles qui ne
peuvent devenir indifférentes ou insensibles. Elle voyait l’épouvante autour d’elle
et désespérait parmi ces milliers d’êtres souffrants parce qu’il n’existait
aucune
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