Milena
dans l’un de ses feuilletons : « Je ne sais pas qui a dit
que les souffrances ajoutent à la valeur de l’homme. Mais ce que je sais, c’est
qu’il a menti ! » Ravensbrück devait lui donner raison. Concernant la
grande majorité des détenues, on ne pouvait pas dire que la souffrance les
améliorait ou les ennoblissait. L’excès de souffrance peut transformer les gens
en bêtes sauvages.
Parmi les détenues asociales, il y avait un nombre imposant
de demi-débiles, voire de débiles complètes ; la présence de certaines
aurait été insupportable dans n’importe quelle communauté, elle l’était tout
particulièrement dans cette communauté où nous nous trouvions rassemblées par
force. Une de ces malheureuses s’appelait Zipser, elle ne parvenait pas à s’adapter
à la vie quotidienne au camp et la seule réponse qu’elle trouvait à cette
situation sans issue était la haine. Elle chicanait, intriguait, dénonçait. Tout
le monde la traitait avec mépris, haine, ses codétenues comme les SS. Afin de
la rabaisser tout particulièrement, on l’affecta à la brigade chargée de la « station
d’épuration », un travail qui la vouait à s’activer toute la journée dans
la puanteur et l’ordure. Cette brigade, conduite par une surveillante SS, était
composée de Tziganes. Dès le premier jour, la Zipser, vexée et furieuse de se
trouver là, commença à chercher querelle à ces femmes qu’elle ne connaissait
nullement. Les Tziganes n’étaient pas des prostituées comme elle-même, elles
étaient comme des enfants de la nature, vives, dépourvues d’inhibitions. Excitées
jusqu’au sang par les attaques continuelles de la Zipser, il ne leur fallut pas
longtemps pour se venger à leur manière, dans un accès de rage aveugle. Au
cours du travail, elles la précipitèrent dans un bassin d’épuration et la
maintinrent dans les déjections jusqu’à ce qu’elle étouffe. La surveillante SS
assista tranquillement à l’exécution. Quand le crime vint à être connu, les SS
jetèrent en prison toutes celles qui y avaient participé.
C’étaient là des êtres primitifs auxquels trop de souffrance
avait fait perdre la tête et qui étaient ainsi devenus des assassins.
Mais ce type de femmes ne furent pas les seules au camp à
devenir des monstres. Les sentimentales, les hypocrites étaient tout
particulièrement exposées au danger d’évoluer de la même façon ; de même, celles
qui voulaient contenter tout le monde, y compris les SS, et se ménager une
existence aussi confortable que possible tournaient mal dès qu’elles avaient l’occasion
d’exercer leur pouvoir sur d’autres, devenant même parfois des criminelles.
Dans le bloc des politiques, il y avait une femme qui, selon
la loi nazie réprimant les « menées perfides », avait été condamnée à
la détention préventive. À force de répandre des cancans, de calomnier les uns
et les autres, cette femme s’était mis à dos les habitants de sa maison ; ce
faisant, elle entra en conflit avec un nazi quelconque qui la dénonça, à la
suite de quoi la Gestapo l’envoya en camp de concentration. Mais la détention
ne l’amenda en rien, bien au contraire, elle y trouva un terrain d’action lui
convenant. Elle devint l’ennemie de toute la baraque, et pour commencer de la Blockälteste, une politique sentimentale « au cœur d’or ». La charge de Blockälteste n’était pas simple, et lorsque, parmi les quatre cents femmes d’une baraque, un
trouble-fête comme cette vieille femme aigrie semait le désordre, il fallait
des nerfs solides et une grande fermeté morale pour surmonter son aversion
personnelle et conserver une attitude équitable. En l’occurrence, ces prémisses
étaient absentes et, au nom du maintien de la paix et de la bonne entente dans
le bloc, on finit par favoriser un meurtre. Voici comment les choses se
passèrent : la vieille, tourmentée par ses rhumatismes et montée contre
tout le monde, ne possédait qu’une parcelle d’espace dans la baraque qui lui
appartînt, en quelque sorte. C’était sa paillasse. Elle en prenait un soin
méticuleux, la défendait contre tous les empiétements. Un matin, elle ne put se
lever. Comme personne ne s’occupait d’elle, on ne remarqua que sa maladie était
sérieuse que lorsqu’elle se mit à souiller sa si précieuse paillasse. Elle
souffrait de diarrhée, maladie qui affectait des milliers de détenues. Lorsqu’on
se rendit compte
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