Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
Vom Netzwerk:
Malheureusement, elle demeurait, pour
sa plus grande infortune, quelques pas en arrière de son idole. Il ne pouvait
absolument pas en être autrement car jamais le souffle d’Apollon ne l’avait
effleurée – il n’y avait rien de dionysiaque en elle, c’est à peine si elle
pouvait s’apparenter à une nymphe.
    Toute différente était Staša, sa cadette de deux ans environ.
Que n’entendait-on les adultes raconter à propos de l’amitié de Staša et Milena !
On les appelait « les sœurs siamoises » et l’on affirmait qu’elles
étaient lesbiennes. Il est vrai que – et il ne peut en être autrement chez des
jeunes filles de seize ans – cette passion entre femmes avait quelque chose d’enthousiaste,
d’extatique, qu’elle se fondait sur l’intérêt excessif qu’elles se portaient l’une
à l’autre. L’intensité de leur relation imprégnait chacune de leurs sensations,
chacune de leurs pensées ; mais il n’y avait là rien de physique, leur
passion n’avait pas la moindre coloration érotique, elle était dépourvue de
tout désir d’étreintes ou de baisers. Milena et Staša vivaient en quelque sorte
blotties l’une contre l’autre, mais sans jalousie ; elles se vouaient l’une
à l’autre, mais sans exiger de droits ; elles s’identifiaient tendrement l’une
à l’autre, mais sans jamais se blesser, et ce sentiment demeurait léger et
transparent. De façon délibérée et volontaire, Staša se refusait à toute
critique à l’égard de son amie et n’aurait pas balancé un instant pour faire
tout ce que Milena – qu’elle considérait comme supérieure à elle-même – aurait
pu exiger. Pourtant, contrairement à Jarmila, Staša n’abdiqua jamais sa forte
personnalité, elle n’imita jamais en quoi que ce soit Milena. Elle n’en devint
jamais le reflet.
    On aurait bien tort d’imaginer que ces jeunes filles étaient
de frêles créatures, délicieusement anémiées. Loin de là ! Elles étaient
pleines de vie et de tempérament, friandes de tout comme seules peuvent l’être
des adolescentes, raffolant de bananes, de chocolat et de crème fouettée. De
bananes, avant tout, fruit encore très rare à l’époque, en Europe.
    Il leur arrivait néanmoins d’afficher des airs des plus
décadents, sacrilèges et morbides. C’est ainsi, par exemple, qu’elles
expérimentaient toutes sortes de médicaments que Milena se procurait en
dérobant des ordonnances à son père. Tout excitées, elles observaient quels
effets les différents comprimés exerçaient sur elles, dans quel type d’ivresse
l’un ou l’autre les plongeait. Elles en vinrent, finalement, à la cocaïne. Aux
mises en garde des adultes, elles opposaient la conviction que chacun a le
droit de faire des expériences sur son propre corps.
    Le D r Prochaska, le père de Staša, qui avait la
réputation d’être un homme très libéral, était à ce point indigné par cette
amitié entre femmes qu’il en faisait un drame au-delà de toute mesure et ne
ménageait aucun effort pour arracher sa fille à l’emprise de Milena, la meneuse,
l’instigatrice. Mais rien n’y faisait, bien qu’il se prononçât pour les moyens
les plus radicaux, auxquels il finit d’ailleurs par recourir.
    Finalement, cette amitié passionnée qui avait suscité tant
de ragots et d’indignation s’acheva d’elle-même, tout bonnement.
    *
    Après que Milena eut passé son bac, son père insista pour qu’elle
étudie la médecine afin de poursuivre la tradition familiale. Il la contraignit
à l’assister dans les soins qu’il apportait aux « gueules cassées »
de la Première Guerre mondiale – bien qu’elle fût totalement inapte à ce genre
de travail et partageât les tourments des blessés avec autant d’intensité que
si c’était son propre visage que l’on découpait en lambeaux. Ces opérations lui
inspiraient, en outre, un dégoût insurmontable. Mais le père n’avait cure d’une
telle sensiblerie. Conformément à la mentalité de sa profession, les mutilés n’étaient
pour lui que des cas plus ou moins intéressants dans sa pratique de chef du
service de chirurgie maxillaire et de plastique faciale à l’hôpital de réserve
de Prague-Žižkov. Jan Jesensky expérimentait de nouvelles méthodes permettant
de guérir ces malheureux. Un jour, me raconta Milena, son père avait, pensait-il,
particulièrement réussi une opération. Il avait « rafistolé » un
blessé au visage qui avait

Weitere Kostenlose Bücher