Milena

se
contenter de batifoler avec lui, de lui « accorder cette unique nuit » ?
Mais elle n’y parviendra pas. L’amour les submerge. Elle épouse Jaromir en 1927
et connaîtra alors avec lui les plus belles années de sa vie. Par l’entremise
de Jaromir, Milena découvre un monde nouveau. Presque tous les architectes
célèbres de l’époque, les tenants des courants modernes en littérature et en
art fréquentent sa maison. Milena s’enthousiasme pour le travail de Jaromir. Avec
un intérêt passionné, elle assimile les idées révolutionnaires de l’architecture
moderne, se fraie son chemin sur le terrain de son mari.
    Jaromir Krejcar, fils d’un garde-forestier de Hundsheim, en
Basse-Autriche, est arrivé à la force du poignet à ce métier qu’il devait
exercer de façon si remarquable. Il en avait gravi les échelons un à un. Il
commença par acquérir une formation de maçon, fréquenta le collège à Prague, puis
l’école du bâtiment, et enfin l’école supérieure d’architecture de l’Académie
des arts de Prague. Il y étudia l’œuvre de Le Corbusier, Gropius, Oud * ,
Loos * , Peret, Hannes Meyer * et bien d’autres. Dès 1922, il
était l’auteur du premier almanach, Život (la Vie), publié à Prague où
étaient célébrées les œuvres les plus récentes de tenants de l’architecture
moderne, tchèques et étrangers. Il y vantait tout particulièrement les mérites
des travaux de Le Corbusier et on peut dire, dans une certaine mesure, qu’il
prit conscience de l’importance de cet architecte avant que ce ne fût le cas en
France, dans son propre pays. C’est en 1923 que fut réalisé le premier projet
architectural de Krejcar. C’est l’immeuble Olympic, qui abrite bureaux et
commerces, un bâtiment de fer et de béton situé dans le centre de Prague. Cette
maison devint le modèle standard de l’architecture moderne dans cette ville. Par
la suite, il conçut d’autres immeubles commerciaux et aussi des villas privées.
Le pavillon tchèque pour l’Exposition universelle de Paris en 1937, construit
sur son projet, et le sanatorium de Trencin-Teplice en Slovaquie furent
également fort remarqués.
    *
    Jaromir entretenait d’autres rapports avec la nature que
Milena, la citadine. « Lorsque nous allions ensemble dans les forêts, me
raconta-t-elle à Ravensbrück, Jaromir se transformait en un être nouveau, il
était alors, totalement, le fils du garde-forestier. Nous marchions à travers
champs sans nous soucier de chemins ou de sentiers ; il avançait devant
moi et ses mouvements souples et légers ressemblaient à ceux d’un bel animal. Dans
la forêt, il se trouvait dans son élément originaire, il m’y faisait découvrir
des miracles tout à fait inconnus et toujours nouveaux… »
    C’est à l’époque de cet amour que culmina l’activité
journalistique de Milena. Entre 1926 et 1928, elle publia ses trois livres, poursuivit
son activité journalistique courante, mais aussi, de surcroît, avec son amie Staša,
participa à la rédaction du magazine Pestrý Týden (les Variétés de la semaine) qui venait d’être fondé. L’ambition de Staša et de Milena était de faire de Pestrý Týden une revue d’avant-garde et elles y parvinrent. Le magazine
contenait des reproductions impeccables, avait un format inhabituellement grand,
publiait d’excellents articles, aussi bien sur des questions historiques qu’actuelles,
bref, était d’un niveau élevé. Vraisemblablement trop élevé pour la majorité
des lecteurs, qui préférait les magazines moins ambitieux. La vente demeura
donc trop modeste, tandis que les coûts de fabrication ne cessaient de croître.
Au bout d’un peu plus d’un an, Milena et Staša en quittèrent la rédaction, laissant
la place à des personnes ayant davantage la bosse des affaires.
    Le premier appartement où elle vécut avec Jaromir se
trouvait rue Spálená, dans une maison sans caractère, laide, où la mère de
Jaromir, qui était veuve, possédait un petit magasin de confiseries dont les
maigres revenus avaient servi à financer les études de son fils. Jaromir et
Milena transformèrent cet appartement incolore en un ravissant logis – car ils
avaient tous deux les mêmes goûts. Ils l’avaient aménagé dans un style simple
inspiré du Bauhaus, mais en y imprimant leur note personnelle, sans froideur ni
excès d’hyper modernisme et avec, de surcroît, tout le confort moderne. Lorsqu’ils
eurent achevé d’aménager