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Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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elle existe entre la
vie et la mort, court d’un bureau à l’autre, de Londres à Paris, de Paris à
Prague, elle visite les camps de réfugiés, elle s’est rendue dans le fameux no
man’s land, sur le bateau rempli de fugitifs qui, après l’occupation de l’Autriche
par les nazis, ne fut autorisé à gagner ni la Tchécoslovaquie ni la Hongrie et
dut demeurer deux mois sur le Danube, devant Bratislava. Où que se tournent ses
regards, elle ne voit pour ainsi dire que désespoir. Dans les rares occasions
où, au prix d’efforts infinis, elle parvient à un résultat tangible, un rayon d’espoir
la récompense. Mais cette femme est d’un calme remarquable, comme seuls peuvent
l’être ceux qui ont la foi.
    « Lorsqu’en septembre mon moral était au plus bas, je
suis allée la voir, décidée à ne demeurer qu’un instant auprès d’elle. Cette
femme diffuse autour d’elle un tel sentiment de sécurité, de réalisme, il
semble tellement évident qu’elle n’a peur de rien, que la petite heure que j’ai
passée assise dans ce fauteuil est l’une des plus belles choses que l’on puisse
concevoir.
    « Il y a beaucoup de femmes qui s’activent dans le
cadre de l’“assistance publique”, comme on dit si joliment, mais peu nombreuses
sont celles qui méritent l’admiration. Mařka Schmolková ne pratique pas l’“assistance
publique”. Elle est partie en pèlerinage pour son peuple, elle s’est mise à son
service avec cette humble fierté ou cette fière humilité qui est le propre des
meilleures représentantes de ce peuple. Elle n’est pas du genre présidente d’honneur,
dame des bonnes œuvres, de celles dont on dit qu’elles se “sacrifient”. Elle
est le passeur tranquille de son peuple malheureux, elle l’aide à franchir le
fleuve impétueux du temps qui l’accable plus lourdement que d’autres nations et
tous les autres peuples […].
    « Il y a des années de cela, j’ai vu à Prague le film No
man’s land * . C’était un film allemand. On appelait no man’s
land, pendant la Première Guerre mondiale, la zone située entre les fronts,
cette bande de terre brûlée située entre les tranchées et les réseaux de
barbelés ennemis. C’est dans cette zone qu’au cours d’un combat, au fil des
assauts, s’étaient réfugiés quatre hommes : un Anglais, un Allemand, un
Noir américain et un soldat français qui est un Juif russe. Quatre hommes-bêtes
tenaillés par la peur, venus des quatre coins de la terre, aux origines
sociales les plus diverses, avec leur langue, leur destin particulier. Dans ce
film, le Juif russe est muet. Il est incarné par un des plus grandioses
comédiens d’Europe de l’époque, Sokoloff, avec son visage de singe triste et
ses yeux juifs typiques, ses yeux sombres, tristes qui regardent du fond des
siècles vers les siècles à venir… Pour moi, la figure de ce comédien avait
quelque chose de prophétique : ce petit Juif tout fripé du no man’s
land, muet parmi les autres, paria parmi les proscrits, avec ses yeux qui
sourient comme s’il regardait avec la peine de milliers de ses semblables et
qui suit son chemin, d’un siècle à l’autre, avec toute son intelligence, son
cœur, son âme – sans pays, ni terre natale, ni langue… Oui, vraiment, lui et
ses semblables sont muets. J’ai entendu parler d’un rabbin qui vit en Palestine
et ne parle plus qu’hébreu, qui ne permet à personne d’employer une autre
langue en sa présence, qui inculque à la jeunesse l’amour de cette langue
maternelle quelque peu artificielle des Juifs. Mais, parfois, à la tombée de la
nuit, réfugié dans un coin, il fredonne, pour lui seul, il fredonne… des chansons
russes. La Palestine est la patrie et l’hébreu la langue maternelle. Mais la
Russie est le pays natal et les airs populaires russes sont les chansons de la
terre natale. Tous les chantaient : les mères, les femmes au village, les
enfants à l’école et les hommes aux champs. Le pays natal, avec ses milliers de
sonorités, d’habitudes, de couleurs et de formes, s’est imprégné dans l’âme de
cet homme. C’est dans sa langue maternelle que se sont formés ses pensées et
ses mots. Et puis quelqu’un est venu qui lui a dit : « Tu n’as rien à
faire ici ! Disparais !” Et le Juif, d’errance en errance finit enfin
par atteindre la Terre promise. Dès lors, il ne parle plus qu’hébreu et s’échine
sur un champ qui ne lui appartient pas non plus, il le

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