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Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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le costume serait un chef-d’œuvre.
    Puis un jour, elle arriva à une réunion, vêtue de sa
nouvelle « création ». Ses amies la regardèrent, ébahies, et levèrent
les bras au ciel : le costume était complètement massacré ! « Mais
ce n’est pas un tailleur qui a pu faire un travail pareil ! », lui
lancèrent-elles, Et Mařka de leur répondre avec un fin sourire :
« Non, en effet ! Il est aussi peintre en bâtiment ! » – puis
d’expliquer : elle avait voulu donner sa chance à un émigré juif d’Allemagne.
Peintre en bâtiment de métier, il venait d’apprendre celui de tailleur et
devait encore faire ses preuves en exécutant son « chef-d’œuvre ». Mais
il ne put trouver personne qui lui confiât, à cette fin, un morceau d’étoffe. Il
s’en plaignit à Mařka, la mère de tous les réfugiés. « Et que
pouvais-je faire d’autre ? ! », se défendit Mařka. « De
toute façon, ce morceau de tissu traînait chez moi ; je le lui ai donné, tout
simplement ! N’est-ce donc pas un chef-d’œuvre ? ! »
    Cette histoire plongea Milena dans le ravissement et elle
devint une admiratrice sans réserve de Mařka, avant même d’avoir fait sa
connaissance. Wilma lui promit d’organiser aussi rapidement que possible une
rencontre entre elles, ce qui n’était pas chose facile vu la masse de travail
qui les submergeait l’une et l’autre. Mais elle y parvint tout de même et, un
beau jour, Mařka, Wilma et Milena se rencontrèrent dans le cadre agréable
du club Společenský, tout près du Graben. Cette rencontre est restée
marquée d’une pierre blanche dans la mémoire de Wilma. Mařka et Milena
étaient attirées l’une vers l’autre comme des aimants et, comme elles avaient
la même connaissance profonde de l’homme, elles saisirent sur-le-champ ce qu’il
y avait de particulier dans la personnalité de l’autre. L’une et l’autre se
distinguaient par de grandes capacités d’observation, par la rapidité avec
laquelle elles saisissaient une question et, plus important encore, par le même
amour de l’humanité, le même sens passionné de la justice. Enfin un dernier don
leur était commun : l’humour.
    Dès la première tasse de café agrémentée de crème fouettée, Wilma
assista à un véritable feu d’artifice où se mêlaient éloquence, humour et
chaleur humaine. Mais plus la conversation s’orientait vers des questions
sociales et politiques d’actualité et plus les deux femmes faisaient montre de
sérieux, de sens des responsabilités, mieux se dessinait l’accord profond
existant entre elles.
    Après cette rencontre, Milena se sentit comme habitée par la
figure de Mařka Schmolková. Le premier article qu’elle consacra au sort
des Juifs en 1938 s’appelait « Ahasver [le Juif errant] dans la Weinberger
Gasse ». Par la suite, les deux femmes allèrent visiter un camp pour
réfugiés juifs au sud de la Slovaquie ; directement inspirée par cette expérience
commune, Milena écrit : « Qui est donc Mařka Schmolková ? J’ai
fait sa connaissance lorsque j’écrivais mon premier article sur les persécutés
et que je cherchais chiffres et faits. Mařka Schmolková vit dans la
vieille ville de Prague, dans une ruelle étroite que moi-même, native de Prague,
je connaissais à peine ; elle vit dans une petite maison biscornue, avec
une vieille montée d’escalier en bois. Mais, en entrant dans son appartement, je
me suis trouvée aussitôt plongée dans une atmosphère remarquablement
harmonieuse et cultivée. Il y a là de nombreux livres, des sculptures de Štursa * ,
de beaux meubles anciens, sombres, et un téléphone qui ne cesse de sonner. Sans
doute, au premier coup d’œil, ne trouve-t-on pas Mařka Schmolková jolie. Il
est bien possible que des femmes qui travaillent toute la journée jusqu’à une
heure avancée de la nuit, qui sont confrontées, des années durant, à la peine
des autres ne soient pas jolies. Tout à fait possible. Mais elle est superbe. Quelque
chose qui vient de l’intérieur rend ce visage si expressif et fort, comme s’il
était taillé dans la pierre. Mařka Schmolková connaît personnellement tous
ceux qui, ces dernières années, se sont réfugiés chez nous. Elle connaît leur
destin ainsi que les dangers auxquels ils ont été exposés. Le flux de ces
destins a effacé le sien propre, plus exactement, l’a rendu tout à fait
accessoire. Cette femme passe sa vie parmi les malades,

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