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Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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fait avec toute sa force
et sa volonté, avec cette fière humilité qui lui appartient en propre. Mais le
soir, lorsque la nuit tombe, il chante doucement ses petites chansons russes. C’est
le Juif muet du no man’s land.
    « Ce film, donc, je l’ai vu il y a des années ; cela
se passait avant 1918, et nous croyions alors, fous que nous étions, que tout
cela appartenait au passé. Après la séance de cinéma, je rentrai chez moi, débordante
d’optimisme et fermement convaincue que nous nous dirigions ensemble, hommes et
femmes de notre temps, vers un avenir radieux et libre. Nous ne savions pas
encore à quel point le cours de l’histoire épouse d’étranges sinuosités, contours
et détours, comment il se jette dans des impasses…
    « Aujourd’hui, le no man’s land est juste au
coin de la rue – au coin de la grange, plutôt, à une volée de pierre d’ici. Entre
la frontière allemande et la frontière tchèque – Dieu, quelle honteuse
frontière –, on a tendu un peu de fil métallique à travers champs, disposé une
perche en travers du chemin, fait courir une corde d’arbre en arbre – un enfant
pourrait arracher tout ça –, c’est une frontière pour… pleurer. Et, en de
nombreux endroits, on a laissé une zone de no man’s land entre les
frontières. D’abord, l’armée tchèque s’est retirée ; puis sont arrivés les
héros allemands (hongrois, polonais) qui ont expédié les Juifs chassés des
territoires occupés dans ce no man’s land. À eux sont venus s’ajouter d’autres
Juifs arrivant d’autres régions de la Tchécoslovaquie, fuyant les territoires
occupés. Beaucoup venaient parce qu’ils avaient été rejetés par ordonnance vers
le no man’s land, d’autres parce qu’ils craignaient pour leurs biens, d’autres
parce qu’ils craignaient pour leurs proches qui se trouvaient encore dans les
territoires occupés. Pour ces derniers, les barbelés tchécoslovaques s’ouvraient ;
mais pas les allemands. Donc, retour à la Tchécoslovaquie, au barbelé, mais
cette fois, on ne les y laisse pas entrer non plus. Oui, les barbelés de l’année
1938 sont solides et résistants. Il est aussi arrivé que de jeunes paysans hongrois
réveillent en pleine nuit tout le village, fassent sortir les Juifs de leurs
maisons – les femmes, les hommes, les enfants –, les fassent monter de force
sur des camions, en chemise de nuit, les conduisent au no man’s land, les
y déposent – avant de prendre le large. Au début, c’étaient dix personnes qui
étaient là, exposées au froid, dans un champ nu, en friche. Puis ils furent
cent. Puis mille. Cela prit du temps avant qu’on ne consente à les autoriser à
rejoindre des familles juives en Tchécoslovaquie. On ne leur en donna l’autorisation
que lorsque les autorités britanniques eurent fourni la garantie que ces Juifs
ne tomberaient pas à la charge de l’assistance publique tchécoslovaque, mais
émigreraient. Pendant tout le temps où ces bannis se trouvèrent exposés au vent,
à la pluie, au froid intense dans les champs ou les forêts, ils furent nourris
par des Juifs qui n’avaient pas encore perdu leur pays. Ils venaient de loin
pour les aider. Mais il y avait aussi des paysans bohémiens et slovaques et
même des paysans allemands et des ouvriers allemands qui leur apportaient à manger.
Tel est parfois l’homme : il aide aussi l’animal afin qu’il ne meure pas
de faim, même quand cet animal appartient à une race inférieure. Le cœur humain
est étrange, il est beau et éternel.
    « Mais comment se peut-il que trois cents personnes, à
Bratislava, par exemple, aient dû demeurer ainsi nuit après nuit dans un champ,
exposées au froid ? Comment cela est-il possible en ce siècle de progrès
technique, en un siècle qui a promu la culture de l’habitat ? Est-ce ainsi
que l’on agit après la paix de Munich ?
    « Et voici ce à quoi l’on assista alors : un père
qui creuse à mains nues trois trous dans la glaise durcie du champ ; qui
couche un enfant dans chacun d’entre eux ; puis qui, avec de la paille de
maïs sèche, tresse trois petits toits et les dispose sur les trous ; et
qui s’assoit sur le sol près d’eux. Si les gens des alentours ne les avaient
pas aidés, les réfugiés seraient vraisemblablement morts de faim, de froid et
de honte. Mais les gens viennent et les aident, ils leur apportent de la
nourriture, des vêtements chauds, des couvertures, une tente, arrivent

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