Milena
avec une
voiture de déménagement hors d’usage. On y met un peu de paille, et voici qui
servira aux cas d’urgence : à l’homme qui vient de faire une gastrorragie,
à la femme qui doit accoucher dans quelques jours, à celle qui a déjà accouché
dans le champ et a enveloppé l’enfant dans les morceaux de tissu qu’on lui a
donnés, au vieillard aveugle, assis dans son coin sur un petit tas de foin […].
« Un médecin juif originaire d’Autriche s’active de-ci
de-là, de l’un à l’autre. Il est le premier à recevoir l’autorisation de
quitter le camp, d’émigrer ; lorsqu’on le lui annonce, il se contente de
rire et dit : “Comment diable pourrais-je bien m’en aller d’ici, maintenant ?”
Il sera le dernier à quitter le no man’s land. Durant toute cette
période, on le vit aller de l’un à l’autre avec sa petite vareuse râpée, ne
perdant jamais son calme et ses capacités de réflexion. Lorsque des enfants
venaient le voir avec leurs doigts gelés jusqu’au sang, il les consolait en
disant : “Viens, je vais te mettre un peu de pommade dessus !” Aux
gens du comité d’assistance qui découvraient avec effroi ce dénuement, il
disait : “Ce n’est pas si terrible que ça ! Venez voir par là, regardez
un peu… Croyez-moi, on s’habitue à tout…” […].
« C’est ainsi qu’ont vécu ces gens pendant des semaines.
Aujourd’hui, ils ont tous un toit. Mais, à la frontière tchéco-polonaise, 6000
personnes environ attendent dans le no man’s land. On y a construit pour
elles des sortes de baraques provisoires. Bientôt, elles seront toutes parties
— non, pas tout à fait : pas les vieillards et les
malades ; il leur faudra mourir ici, dans un recoin quelconque. Mais les
enfants, les hommes et les femmes, ceux qui sont en bonne santé, capables de
travailler, émigrent. Tous ! À la Noël, ils seront déjà Dieu sait où, sous
leur propre toit…
« Ce n’est pas notre faute s’ils ont connu chez nous un
sort aussi difficile. Tant que notre propre maison n’a pas été à moitié démolie,
nous avons pu être hospitaliers et accueillants. Tout ce que nous pouvons faire
aujourd’hui, c’est leur souhaiter une existence neuve et bonne, loin d’ici. Et
cela, nous le leur souhaitons du fond du cœur [53] . »
*
Mařka Schmolková persévéra dans son travail jusqu’à ce
que la Gestapo vînt l’arrêter, trois jours après l’entrée des troupes d'Hitler
dans Prague. Son dernier geste avant d’être prise fut de brûler dans la
cheminée de sa chambre, pendant des heures et des heures, des quantités de
papiers, de documents ayant trait à ses protégés – afin de ne compromettre
personne.
D’abord, la Gestapo la plaça dans une cellule avec des
droits communs et des prostituées ; trente-trois personnes dans une
cellule comportant quatre bat-flanc seulement. Puis on la transféra à la
forteresse de Pankrac. Aussi incroyable que cela paraisse, les autorités
tchécoslovaques exigèrent sa remise en liberté car elles étaient incapables de
faire face au problème des réfugiés et avaient un besoin urgent de sa
collaboration. Puis elles obtinrent de la Gestapo que Mařka soit envoyée à
Paris afin d’y trouver de nouveaux moyens d’organiser l’émigration juive.
Lorsqu’elle arriva à Paris, la guerre éclata, lui coupant le
chemin du retour. Vainement, elle s’efforça de trouver un moyen de regagner
Prague. Elle désespérait à l’idée de ne plus pouvoir aider directement, sur
place, ceux qui se trouvaient menacés ; elle éprouvait un immense
sentiment de honte à l’idée que ces malheureux devaient souffrir, là-bas, tandis
qu’elle se trouvait en sécurité en Angleterre.
Elle reprit alors son activité d’assistance à Londres, y
prenant connaissance jour après jour de l’aggravation des persécutions dirigées
contre les Juifs dans les territoires contrôlés par Hitler, des horreurs qui
avaient lieu dans les camps de concentration, de la déportation des Juifs par
milliers. Chacune de ces nouvelles la plongeait dans de nouveaux tourments. Elle
se consumait en sentiments de compassion.
En mars 1940, Wilma lui rendit visite dans son bureau, à
Londres ; au même moment, on apporta à Mařka une lettre lui annonçant
que sa nièce (qui avait été aussi sa secrétaire), une jeune femme dans la fleur
de l’âge, avait été déportée en Pologne par la Gestapo de Prague, avec son mari.
C’étaient les
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