Milena
hystérique.
Après la catastrophe de Munich et la trahison des puissances
occidentales, Milena, qui avait cru jusqu’alors pouvoir se fier à leur fidélité
et à leur honorabilité, adopte dans ses articles un ton nouveau. Se fondant
exclusivement sur des documents, elle établit, dès le 5 octobre 1938, un « calendrier
des événements de septembre » où seuls parlent les faits. Cet article se
présente en quelque sorte comme son examen de passage en matière de journalisme
politique. Sept jours plus tard, dans un texte intitulé « Cela dépasse nos
forces », elle abandonne toute forme d’optimisme partiel et aveugle, faussement
rassurant, regarde en face les faits dans ce qu’ils ont de bouleversant, affirmant
que la Bohême mutilée n’a pour ainsi dire aucune chance de survie ; s’efforçant,
malgré tout, de sauver ce qui peut l’être, elle veut, autant que faire se peut,
être de bon conseil. Désireuse de parer au désespoir, elle met en lumière le
peu d’éléments positifs qui demeurent et règle sans pitié leur compte aux
coupables, qu’il s’agisse des Allemands, des puissances occidentales ou des
opportunistes de son propre camp.
Mater misericordiae
Pendant les cinq longues années durant lesquelles Milena
avait appartenu au parti communiste, son amie Wilma l’avait perdue de vue. Comme
beaucoup de ses amis, elle s’était détournée d’elle. En l’occurrence, l’expérience
négative que Wilma avait fait elle-même des communistes pesa d’un certain poids.
Peu de temps après la prise du pouvoir par les nazis, Wilma avait adhéré à un
comité d’assistance destiné à aider les émigrés venus de l’Allemagne
hitlérienne ; elle y travaillait avec grand enthousiasme. Le ministère de
l’intérieur tchèque mit à la disposition du comité le château de Mšeč afin
qu’il puisse y héberger les réfugiés. Cet édifice antique, avec ses pièces
gigantesques vides, ses murs de plusieurs mètres d’épaisseur, ses alcôves
profondes, ressemblait davantage à un cachot qu’à une demeure. Le comité se
trouvait confronté à la tâche fort délicate de transformer le château en une
habitation à visage humain. Les représentants du ministère de l’intérieur
chargés de ces questions se situaient très à droite et il en découlait
certaines difficultés ; pourtant, une collaboration entre le comité et le
ministère parvint à s’établir grâce à la persévérance de Wilma et de ses
collègues du comité. Non sans peine, ils parvinrent à convaincre la presse et
certains secteurs de l’opinion publique tchèque que des émigrés, eux aussi, avaient
le droit d’être hébergés dans des conditions humaines ; ils quémandèrent
de l’argent partout où ils purent en trouver et parvinrent, au prix d’un
travail épuisant (la dirigeante de la Croix-Rouge, le D r Alice
Masaryk, les aidant, en l’occurrence, avec beaucoup de générosité), à rendre le
château habitable.
Mais, petit à petit, des communistes s’étaient infiltrés
dans le comité d’assistance et au début personne ne trouvait à redire à leur
collaboration. Cependant, avant même que les membres du comité issus de la bourgeoisie
aient perçu le danger qui pesait sur eux, les communistes commencèrent à
utiliser le comité à leurs fins propres. Avec opiniâtreté, sans ménagements, ils
firent obstacle à l’hébergement d’émigrés qui se trouvaient réellement menacés
mais qui, de leur point de vue, présentaient peu d’intérêt ; ils
contrôlèrent bientôt totalement le comité. Au château, n’étaient plus hébergés
que des émigrés communistes ; ils transformèrent le comité en une
institution qui ne servait que leurs intérêts de parti. Débordant d’indignation
mais impuissants, Wilma et ceux qui partageaient son opinion virent les communistes
s’emparer de l’ouvrage qu’ils avaient accompli. N’étant pas de taille à faire
front à ces méthodes aussi brutales que roublardes, ils abandonnèrent les uns
après les autres cette activité.
Telle était l’expérience amère qu’avait faite Wilma ; un
jour, en 1937, elle rencontra tout à fait par hasard dans un train son amie Staša
qui lui parla de l’évolution « trotskiste » de Milena et de son
exclusion du parti communiste. Ravie de la nouvelle, Wilma eut aussitôt le
désir ardent de revoir Milena. De retour à Prague, elle l’appela ; Milena,
pleine d’enthousiasme, l’invita chez
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