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Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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morales et qui portait un ordre du monde
solide dans son cœur et son esprit. L’année 1938 fut comme un éboulement qui
entraîna tout sur son passage, tout ce qui semblait auparavant si solidement
établi. Les coups s’abattirent les uns après les autres : perdue l’amitié
de la France, perdue la foi en la Marseillaise, l’hymne de la liberté
démocratique, perdues montagnes et frontières – il ne restait plus qu’une
nation paralysée, l’impuissance angoissante du poète et, pire que tout, ces
cris discordants, ce langage nouveau de nombreux Tchèques appliqués à cracher
dans la soupe au moment même où se font entendre, au bord de l’abîme, les
craquements les plus sinistres. C’en était trop pour le cœur d’un homme comme
Karel Čapek dont la foi en la vie tenait en ces deux mots : travailler,
construire ; c’était trop de ravages pour un poète qui aimait les petits
jardins soignés, les fleurs épanouies, une maison accueillante et les choses
simples de l’existence. C’était un homme trop modeste, trop timide pour mourir
le cœur brisé. Il mourut d’une pneumonie.
    « Tandis que les médecins s’efforçaient de le maintenir
en vie, il parlait, calmement, simplement. Il demandait : “Quel temps
fait-il donc, aujourd’hui ? Y a-t-il du verglas ? Dans
quatre-vingt-onze jours, nous partirons ensemble à Strž. Nous tous. À Strž, les
arbres verdiront déjà, l’herbe commencera à pousser. Dans quatre-vingt-onze
jours…” […].
    « Strž, c’est une maison en pierre située dans la forêt
de Dobřis, tout contre le remblai d’un étang. Autour de la maison, il y a
vingt hectares de terre. Cette terre, cette maison, le paysage qu’on y découvre
sont devenus plus chers que tout au cœur de Čapek, comme s’il s’agissait d’un
être vivant, d’un être qui respire. Plus son univers se désagrégeait, et plus
il bâtissait avec ardeur et obstination : il déplaçait des blocs de pierre,
défrichait, régularisait le cours du ruisseau. Il accomplit ainsi un miracle :
sur ces vingt hectares, il y avait tout ce qui est cher au cœur d’un homme qui
aime le paysage de Bohême : des étangs, un ruisseau, une petite source, un
bout de champ, un bosquet et la vue sur les lignes entrecroisées de montagnes
en pente douce, sur un paysage harmonieux comme des cloches tintant dans un
crépuscule doré […].
    « Mais trop de jours séparaient Čapek du printemps.
Trop de temps. Il le comptait, heure par heure, comme si seul le printemps
pourrait lui apporter le salut. Quatre-vingt-onze jours, quatre-vingt-onze
barreaux d’une échelle. Il tomba du quatrième […].
    « Le premier jour des fêtes de Noël, il se mit à neiger,
des ombres blanc bleuté descendirent sur la chambre. Čapek se taisait, il
se tut longtemps. Puis il changea de couleur. Sa femme Olga entra dans la pièce
et peut-être son expression indiqua-t-elle, un instant, qu’elle avait compris. “Les
médecins ne t’ont-ils pas dit que je vais déjà mieux ? “, dit Čapek, et
ce fut sa dernière parole… À sept heures moins le quart, il cessa de respirer. Il
ne lutta pas ; il ne se défendit pas. Il cessa simplement de respirer, de
vivre. Ceux qui le veulent peuvent croire qu’il est mort de bronchite et de
pneumonie [55] . »
    *
    Lorsqu’elle ne pouvait pas faire autrement, Milena se
procurait aussi le matériel nécessaire à son travail journalistique directement
auprès de l’adversaire. C’est ainsi qu’elle alla interviewer dès 1938 l’attaché
de presse auprès de l’ambassade allemande de Prague ; elle réussit, grâce
à son air innocent, franc et droit, à circonvenir complètement l’attaché de
presse et à capter sa confiance. Elle obtint ainsi des informations dont ne
pouvait disposer par ailleurs aucun journaliste tchèque. Mais elle ne se targua
jamais de tels succès. Ce n’est qu’au résultat, en lisant son feuilleton, qu’on
pouvait en mesurer l’ampleur. En outre, elle fit, à cette occasion, d’importantes
observations ; dès sa première interview, en effet, au printemps 1938, elle
remarqua que l’ambassade grouillait littéralement d’employés, qu’ils étaient là
en nombre absolument disproportionné par rapport à la représentation
diplomatique d’autres pays en Tchécoslovaquie. Elle en tira la conclusion juste
que les nationaux-socialistes, en entretenant cette colossale représentation, préparaient
déjà en sous-main l’agression contre

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