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Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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vivent sur les canons. Elle y
affirmait, entre autres, que les chansons de soldats allemandes sont beaucoup
plus belles, beaucoup plus « militaires » surtout, que celles des
Tchèques. On pouvait l’imputer, affirmait-elle, au fait que le peuple allemand
est plus guerrier, plus militaire que le tchèque dont les soldats préfèrent
parler, dans leurs chansons, de filles et de brins de muguet que d’actions
héroïques.
    Avant d’écrire cet article, Milena se mit en quête d’une chanson
de soldats allemande particulièrement typique Son ami Fredy Mayer, un Allemand,
eut une idée géniale • il fallait, lui dit-il, choisir la chanson la plus
atroce, la plus militaire dans sa cruauté, une chanson qui disait que les
soldats vivent sur les canons et font du steak tartare avec toutes les races
étrangères qu’ils rencontrent sur leur chemin. Fredy et Milena savaient
parfaitement, bien sûr, que cette chanson était tirée de l’Opéra de quat’
sous et n’était pas le moins du monde une chanson de soldats allemande. Mais
ils considéraient qu’un Tchèque n’est pas censé le savoir. Milena sauta avec
enthousiasme sur cette idée raffinée et c’est ainsi que, sous la domination
nazie, le communiste Bertolt Brecht fut édité dans Přítomnost. Mais
la chose ne devait pas demeurer sans conséquence.
    C’étaient des nationaux-socialistes, des Sudètes, qui s’occupaient
de la censure. Ils savaient certes le tchèque, mais leur intelligence
déficiente n’était vraiment pas à la hauteur des allusions cachées de Milena, de
l’ironie sous-jacente dont regorgeaient ses articles de cette époque. Ils ne
comprenaient pas que les louanges énormes des Allemands qu’elle y chantait
exerçaient exactement l’effet inverse sur le lecteur tchèque. C’est ainsi que
les censeurs tchèques se sentirent flattés dans leur germanité, lorsqu’ils
lurent, par exemple, dans l’article intitulé «  Soldaten wohnen auf den
Kanonen  » : « … Avant, quand tout un régiment de petits
soldats tchèques passait au pas sous la fenêtre, on entendait le tapotement
joyeux de leurs pas dans les rues ; mais aujourd’hui, il suffit qu’un seul
soldat allemand traverse le café pour que son pas solide fasse cliqueter tous
les verres et que le stuc tombe du plafond… » Et elle poursuit, exprimant
son admiration pour cette attitude « valeureuse », « héroïque » :
« Les Allemands s’y entendent aussi bien pour commander que pour obéir. Leurs
soldats tremblent devant leurs supérieurs et se plient sans répliquer aux
ordres. Les officiers tchèques, eux, se comportaient d’une manière totalement
différente, parfaitement non militaire, ne se contentant pas de ne pas hurler
lorsqu’ils s’adressaient à leurs subordonnés, mais leur parlant aimablement jusqu’à
ce que les soldats comprennent que ce qu’on leur demandait avait un sens… »
C’était là, bien sûr, pure dérision. Mais les censeurs nationaux-socialistes
étaient si bornés qu’ils n’y virent que du feu.
    Ce ne fut pas le cas de Herr von Wolmar qui, lisant les
articles du journal en traduction allemande, tomba sur «  Soldaten
wohnen auf den Kanonen  ». Il était assez avisé pour saisir le jeu qu’y
jouait Milena, et devint absolument furieux. Il convoqua Milena et lui demanda
rudement si elle avait déjà entendu des soldats allemands chanter cette chanson
et si des fois elle ne savait pas qu’elle était extraite de l’Opéra de quat’
sous du communiste Bertolt Brecht ! Milena, jouant les petites saintes,
répondit qu’elle l’ignorait complètement, qu’elle avait entendu cette chanson
quelque part, mais qu’elle était incapable de se rappeler où et quand. Elle n’avait
pas douté un instant, ajouta-t-elle, qu’il s’agît d’une chanson de soldats
allemande car elle l’avait frappée à la fois par son caractère si
spécifiquement allemand et si spécifiquement militaire. Elle gratifia Herr von
Wolmar d’un léger sourire, mais celui-ci était déjà à bout. Bouillant de rage, il
lui jeta en pleine figure le crayon avec lequel il jouait nerveusement tandis
qu’elle parlait et se mit à hurler : « Ça suffit, maintenant ! Il
y a des limites à tout ! J’en ai assez que vous me preniez pour un
imbécile ! »
    Ce jour-là, Milena se sentit particulièrement heureuse. Elle
était fière d’avoir réussi à faire sortir de ses gonds cet Allemand si maître
de lui et si bien

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