Milena
refusa et la Gestapo le reconduisit à Buchenwald,
les menottes aux poignets. Il y resta jusqu’à la fin de la guerre.
Après l’arrestation de Peroutka, Milena sentit combien le
danger se rapprochait d’elle. Ce qui la préoccupait le plus était de savoir ce
qu’il adviendrait de la petite Honza si on la jetait en prison. Elle se
reprochait amèrement d’avoir impliqué l’enfant dans le travail clandestin. Honza
était une enfant d’une intelligence extraordinaire et, au cours des mois
précédents, elle était devenue une conspiratrice expérimentée, rompue notamment
à l’art de diffuser le bulletin illégal. Milena se mit d’accord avec Fredy
Mayer et sa femme, dont la fille venait d’être mise en sécurité en Angleterre à
l’occasion d’un transport d’enfants, pour que Honza, dans le cas où sa mère
serait arrêtée, aille vivre chez eux. Mais si les Mayer qui, eux-mêmes, étaient
exposés à un très grand danger étaient dans l’impossibilité de la prendre en
charge, Milena souhaitait qu’elle soit confiée à la garde de son grand-père Jan
Jelensky.
Quatre semaines environ après l’arrestation de Peroutka, Milena
envoya, un matin, la petite Honza à l’imprimerie ; elle devait y prendre
des exemplaires de la revue illégale pour qu’on les diffuse. Mais lorsqu’elle
arriva sur les lieux, la Gestapo était en train d’investir l’imprimerie. Honza
tenta de se tirer d’affaire en expliquant qu’elle était simplement venue
téléphoner. Elle ne répondit pas lorsqu’on lui demanda où elle habitait. On la
laissa repartir, mais on la suivit à son insu, jusqu’au domicile de sa mère. Tout
au long de la perquisition minutieuse qui s’ensuivit, la petite fille se tint à
un endroit déterminé, dans une pièce, n’en bougeant pas, même quand l’homme de
la Gestapo aux questions duquel elle ne répondait pas la frappa. Elle se
conduisait comme si elle était un peu dérangée. Mais ce faisant, elle
protégeait de son corps un emplacement où d’importants documents abandonnés par
des réfugiés avaient été dissimulés sous le parquet. À l’issue de la
perquisition, Milena fut arrêtée.
À peine avait-elle été emmenée que Honza se jeta sur le
téléphone et raconta aux Mayer ce qui s’était passé. On vint aussitôt la
chercher. Mais Honza y mit une condition : il n’était pas question qu’elle
se sépare de son meilleur ami, un gros matou noir, il fallait absolument qu’il
vînt, quoi qu’il puisse en coûter ! Mais c’était un ami difficile : pas
vraiment propre, il menait en permanence la vie dure aux parents nourriciers de
la petite ; ceux-ci, en effet, habitaient au dernier étage d’une maison
élevée ; et le chat avait l’habitude de s’esquiver sur le toit en se
sauvant par la fenêtre. Honza rampait derrière lui, à une hauteur vertigineuse,
tentant, par de douces paroles, de le convaincre de revenir… Puis survint un
événement qui valut au matou, à ce trouble-fête, la considération de toute la
famille. Un jour, la Gestapo fit irruption dans l’appartement pour arrêter
Fredy Mayer. Trois policiers fouillaient dans les placards et les bibliothèques
lorsque le gros chat surgit soudain d’un coin sombre ; d’un bond hardi, il
sauta sur le type de la Gestapo et lui planta ses griffes dans l’épaule à
travers l’uniforme. Mortellement effrayé, le gestapiste perdit toute contenance.
La perquisition fut aussitôt interrompue et Fredy emmené en prison sans autre
forme de procès.
Honza était intelligente, mais c’était aussi une enfant
difficile. Il ne passait guère de journée sans que sa conduite ne suscitât
quelque émoi. Elle rentrait souvent très tard à la maison, racontant les
histoires les plus invraisemblables, inspirées pour l’essentiel par son
imagination de conspiratrice. Elle racontait qu’elle était poursuivie par des
hommes auxquels elle avait échappé au prix de détours longs et compliqués, elle
avait dû se cacher dans des maisons, attendre dans l’obscurité avant de pouvoir
se risquer à nouveau dans la rue. Elle tenait ainsi constamment en haleine ses
parents nourriciers.
Un matin, le téléphone se mit à sonner : « Ici la
Gestapo. Est-ce que la petite Honza est chez vous ? » M me Mayer,
qui avait décroché, répondit, affolée, en bégayant, qu’elle ne savait pas où se
trouvait l’enfant. Ce à quoi le policier répondit : « Dommage. Si on
savait où est l’enfant,
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