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Milena

Milena

Titel: Milena Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Margarete Buber-Neumann
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Milena. Milena craignait que tout cela ne
finisse fort mal pour Anička et exigea catégoriquement qu’elle détruise le
contenu de la boîte. Mais Anička avait la force d’inertie des gens doux, elle
ne regimbait jamais, mais s’en tenait obstinément à ses plans. Elle conserva la
boîte, et son contenu ne cessa de croître. De nouvelles artistes entrèrent en
lice. Nina Jirsíková, une amie de Milena qui était auparavant danseuse et
chorégraphe dans un cabaret de Prague, l’« Osvobozene Divadlo » (le
théâtre libéré), se découvrit des talents de caricaturiste. C’est ainsi que fit
son apparition le « Journal de mode de Ravensbrück », une série de
dessins d’un comique absolu. Cela commençait par cette figure pitoyable qu’est
la « nouvelle arrivante » avec son crâne rasé, sa longue robe-sac
rayée, de gigantesques galoches de bois aux pieds… Puis, d’image en image, apparaissaient
les prescriptions imposées par la mode aux détenues « à la coule » :
raccourcir – en cachette, bien sûr, car c’est rigoureusement interdit – la
robe-sac ; la ramasser à la taille en utilisant quelques épingles de
sûreté fauchées à droite ou à gauche ; faire ressortir les seins par une
petite astuce de couturière… Et déjà l’on est à la mode, déjà l’on se sent
davantage une femme. Les dessins suivants furent consacrés à la phase où
culmina l’élégance à Ravensbrück, c’est-à-dire en 1943, lorsque certaines
détenues eurent le bonheur de recevoir des paquets. En conclusion, l’artiste
représentait côte à côte : la détenue tombée au plus bas, en loques ;
la détenue « prolétarienne » qui n’avait pas reçu de paquet ; la
détenue vêtue d’un accoutrement prétentieux de la couche possédante, la détenue
« aristocratique ».
    Un autre recueil de dessins de Nina évoquait le combat de
toutes contre toutes dans les baraques surpeuplées. On y voyait le petit poêle
de fonte vers lequel chacune se précipite, sur lequel chacune des deux cents prisonnières
revendique une place pour son gobelet, pour chauffer quelque chose. Et voici qu’éclate
une bagarre : on distingue des visages déformés par la fureur, l’une
repousse l’autre de côté et déjà tout l’édifice des gobelets posés sur le poêle
vacille, et tout s’effondre.
    Un autre dessin portait le sous-titre : « J’entretiens
journellement d’étroits contacts avec Madame le consul général » ; on
y voyait une détenue s’extirpant de sa paillasse au troisième étage des châlits
et écrasant, de toute la largeur de son pied, le visage de « Madame le
consul général » couchée à l’étage inférieur.

Protégées
    Je me rappelle avec une netteté particulière l’une des
nombreuses protégées de Milena, car elle l’avait placée sous ma protection ;
c’était Miška Hispanská, une jeune Polonaise, peintre de grand talent. Ses
capacités artistiques nous avaient été révélées par quelques-uns de ses dessins.
Miška était une jeune femme timide, délicate, et chaque jour passé à l’extérieur
à transporter des pierres, à pelleter du sable, la mettait en danger. Milena, en
se portant à son aide, manifesta en l’occurrence le grand cas qu’elle faisait
des dons artistiques. Elle voulait permettre à Miška de dessiner sans être
dérangée. Elle volait du papier et des crayons à l’infirmerie, falsifia une
carte de service interne au camp afin de lui épargner d’aller au travail ;
ma tâche était de cacher Miška dans un coin, au fond près de la fenêtre – dans
le bloc des Témoins de Jéhovah. Elle y demeurait, soustraite à la réalité du
camp, et se consacrait à ses œuvres, des dessins grandioses, amèrement
réalistes, qui avaient pour sujet la vie quotidienne à Ravensbrück, ainsi que
de nombreux portraits de codétenues.
    Miška était exposée à un danger particulier en ce sens qu’elle
avait un penchant à s’apitoyer sur son propre sort, attirant de la sorte les
maladies sur elle-même. C’était là une forme fréquente d’abandon, une
conséquence de notre asservissement systématique.
    Outre les ordres qui nous étaient donnés en permanence, le
rythme de nos journées était conditionné par le hurlement d’une sirène. Elle
nous tirait en sursaut du sommeil, nous enjoignait de nous rendre à l’appel, mugissait
pour indiquer le début de la journée de travail, nous signifiait qu’il était
temps de nous mettre

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