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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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J’entendis un bruit sourd et un froissement de papier : le livre était tombé de la table sur les dalles. La lampe était éteinte, et il y avait un violent courant d’air dans la pièce. La porte devait être ouverte. Je prêtai l’oreille pendant quelques minutes. Urgulanille n’était certainement pas dans la chambre.
    J’essayais de rassembler mes idées quand un cri terrible retentit – tout proche, à ce qu’il me sembla. Une femme hurlait : « Grâce ! grâce ! C’est Numantine ! oh – oh ! » Puis la chute d’un lourd objet métallique, un craquement de verre brisé, un choc sourd dans le lointain – enfin des pas précipités dans le corridor. Il y avait de nouveau quelqu’un dans ma chambre. On ferma et on verrouilla la porte avec précaution. Je reconnus le souffle haletant d’Urgulanille. Elle ôta ses vêtements, les posa sur une chaise, et vint s’étendre près de moi. Je faisais semblant de dormir : elle chercha ma gorge dans l’ombre. Alors je murmurai, feignant de m’éveiller à demi : « Ne fais pas cela, chérie : tu me chatouilles. Et il faut que j’aille demain à Rome t’acheter des fards. » Puis, d’une voix plus éveillée : « Oh ! c’est toi, Urgulanille ? Pourquoi tout ce bruit ? Quelle heure est-il ? Avons-nous dormi longtemps ? »
    Elle répondit : « Je ne sais pas. J’ai dû dormir à peu près trois heures. Ce sera bientôt l’aube. On dirait qu’il est arrivé un malheur. Allons voir. »
    Je me levai, passai mes vêtements et déverrouillai la porte. Plautius, nu sous un couvre-pieds dont il s’était enveloppé à la hâte, était debout au milieu d’une foule bruyante armée de torches. Il répétait d’un air égaré : « Ce n’est pas moi. Je dormais. J’ai senti qu’on l’arrachait de mes bras : on l’a soulevée en l’air : je l’ai entendue appeler au secours ; ensuite il y a eu un grand choc, puis un craquement, quand elle est passée par la fenêtre. Il faisait nuit noire. Elle a crié : « Grâce ! c’est Numantine ! »
    — Raconte cela aux juges, et tu verras comme ils te croiront ! dit en s’approchant le frère d’Apronie. Tu l’as bel et bien assassinée. Elle a le crâne fracassé.
    — Ce n’est pas moi, dit Plautius. Comment aurais-je pu ? je dormais. C’est de la sorcellerie. Numantine est sorcière.
    À l’aube, le père d’Apronie le conduisit devant Tibère, qui l’interrogea sévèrement. Cette fois il raconta que pendant son sommeil Apronie s’était arrachée de ses bras, avait bondi à travers la chambre en criant et sauté par la fenêtre dans la cour. Tibère lui ordonna de l’accompagner sur le théâtre du crime. La première chose qu’il remarqua en entrant dans la chambre fut le présent de noces qu’il avait fait à Plautius : un beau candélabre égyptien en bronze doré, provenant de la tombe d’une reine, qui gisait brisé sur les dalles. Tibère leva les yeux et vit que le candélabre avait été arraché du plafond.
    — Elle l’aura fait tomber en s’y accrochant, dit-il. C’est donc que quelqu’un la portait sur ses épaules. Et regardez à quelle hauteur est le trou ! Elle n’a pas sauté : on l’a jetée par la fenêtre.
    — C’est de la sorcellerie, dit Plautius. Elle a été transportée dans les airs par une force inconnue. Elle a crié et accusé ma première femme, Numantine.
    Tibère haussa les épaules. Les amis de Plautius comprirent : il serait convaincu de meurtre, exécuté, et ses biens confisqués en entier. Sa grand-mère Urgulanie lui envoya un poignard en lui disant de penser à ses héritiers, qui auraient le droit de garder la fortune s’il prévenait le verdict par un suicide immédiat. Mais Plautius était un lâche et ne put se décider à enfoncer le poignard. À la fin il se mit dans un bain chaud et se fit ouvrir les veines par un chirurgien, de manière à mourir lentement et sans souffrance.
    Sa mort me causa beaucoup de remords. Je n’avais pas dénoncé immédiatement Urgulanille de peur qu’on ne me demandât pourquoi, en entendant les premiers cris, je n’avais pas couru au secours d’Apronie. J’avais décidé d’attendre l’ouverture du procès et de ne parler que si je voyais la vie de Plautius en danger. Quand j’entendis parler du poignard il était déjà trop tard. Je me consolai en me disant que Plautius, sans parler de sa cruauté pour Numantine, avait toujours agi assez peu amicalement

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