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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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pas ce que je t’ai dit. Jure-le-moi.
    — Je le jure par la Divinité d’Auguste.
    — Cela suffit. Tu connais la chambre qu’on t’a donnée la dernière fois que tu es venu ici ?
    — Oui, merci. Puisque tu travailles, je vais aller me coucher. J’ai eu un voyage fatigant et beaucoup d’ennuis à la maison. Ma mère m’a pour ainsi dire mis à la porte.
    Nous nous souhaitâmes le bonsoir et je montai au premier étage. Un affranchi, avec un regard singulier, me remit une lampe, et j’entrai dans la chambre qui donnait dans le corridor presque en face de celle de Plautius. Après avoir refermé la porte, je commençai à me déshabiller. Le lit était dissimulé par un rideau. J’ôtai mes vêtements et me lavai les mains et les pieds au petit lavabo placé à l’autre bout de la chambre. Tout à coup un pas lourd retentit derrière moi, et ma lampe s’éteignit. « Tu es perdu, Claude, me dis-je. C’est quelqu’un avec un poignard. » Pourtant je dis tout haut, d’une voix aussi calme que possible : « Qui que tu sois, allume la lampe, je te prie, et causons d’abord. Si tu décides de me tuer, tu y verras mieux avec la lampe allumée. »
    Une voix de basse me répondit : « Reste où tu es. »
    J’entendis des pas, des grognements et le bruit de quelqu’un qui s’habille, puis le choc de l’acier contre la pierre, et la lampe s’alluma enfin. Je reconnus Urgulanille. Je ne l’avais pas vue depuis les funérailles de Drusillus, et ces cinq ans ne l’avaient pas embellie. Elle était plus grosse que jamais – colossalement grosse – avec un visage tout bouffi. Il y avait dans cet Hercule femelle la force d’un millier de Claudes. J’ai assez de vigueur dans les bras, mais elle n’avait qu’à se laisser tomber sur moi pour m’étouffer.
    Elle s’approcha de moi et dit lentement : « Que fais-tu dans ma chambre ? »
    Je m’expliquai de mon mieux : c’était une mauvaise plaisanterie de Plautius, qui m’avait envoyé dans cette chambre sans m’avertir qu’elle s’y trouvait. Je m’excusai sincèrement de mon intrusion : j’étais plein de respect pour elle et voulais me retirer immédiatement pour aller passer la nuit sur un divan des Bains.
    — Non, mon cher, maintenant que tu es ici, restes-y. Il ne m’arrive pas si souvent d’avoir le plaisir de la compagnie de mon mari. Dis-toi bien qu’une fois entré ici il n’y a plus moyen d’en sortir. Mets-toi au lit et dors : je te rejoindrai plus tard. Je vais lire jusqu’à ce que le sommeil me vienne. Voici déjà longtemps que je ne dors pas bien.
    — Je suis vraiment désolé de t’avoir éveillée tout à l’heure…
    — Mets-toi au lit.
    — Je suis vraiment désolé du divorce de Numantine. Je n’en savais rien : c’est l’affranchi qui vient de me l’apprendre…
    — Mets-toi au lit et tais-toi.
    — Bonne nuit, Urgulanille. Je suis vraiment…
    — Tais-toi.
    Elle s’approcha et tira le rideau. J’étais mort de fatigue et pouvais à peine tenir les yeux ouverts, mais je faisais tout mon possible pour résister au sommeil. J’étais sûr qu’Urgulanille attendait que je fusse endormi pour m’étrangler. En attendant elle lisait à demi-voix, avec lenteur, un livre assommant : une idylle grecque de l’espèce la plus insipide. J’entendais le bruit des pages tournées et la voix qui épelait lentement, dans une sorte de murmure enroué :
    « Ô é-co-lier, dit-elle, tu as goû-té le miel et le fiel. Prends garde que la dou-ceur de ton plai-sir ne fasse place de-main à l’a-mer-tume du re-pen-tir ! – Bah ! ré-pon-dis-je, mon a-mour, je suis prêt, pour un autre bai-ser, à rô-tir à pe-tit feu comme un poulet ou un cane-ton. »
    Elle rit tout bas, puis ajouta à voix haute : « Dors, Claude. J’attends de t’entendre ronfler. »
    Je protestai : « Alors pourquoi lis-tu des histoires aussi passionnantes ? »
    Au bout d’un moment j’entendis Plautius aller se coucher. « Ô ciel ! pensai-je ; dans quelques minutes il sera endormi, et avec les deux portes qui nous séparent il ne m’entendra pas crier quand Urgulanille m’étranglera. » Elle cessa de lire : le chuchotement et le bruit des pages, qui m’aidaient à rester éveillé, s’arrêtèrent. Je me sentais m’endormir… Je m’endormais… Je savais que je dormais et qu’il fallait m’éveiller à tout prix : je luttais comme un forcené pour y parvenir. Enfin je m’éveillai.

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