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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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répondit Caligula les yeux baissés.
    — Eh bien, Claude, ce monstre, ton neveu – je vais te dire quelque chose à son sujet. C’est lui qui sera le prochain empereur.
    Je crus qu’il s’agissait d’une plaisanterie.
    — Puisque tu le dis, grand-mère, répliquai-je en souriant, je le crois. Mais quels sont ses titres ? C’est le plus jeune de la famille, et bien qu’il fasse preuve de grandes dispositions naturelles…
    — Tu veux dire qu’aucun d’eux n’a une chance contre Séjan et ta sœur Livilla ?
    La liberté de la conversation me stupéfiait.
    — Je n’ai rien voulu dire de la sorte. Je ne me mêle jamais de haute politique. Je veux dire simplement qu’il est encore bien jeune – beaucoup trop jeune pour devenir empereur, et que la prophétie est peut-être un peu prématurée.
    — Pas prématurée du tout. Tibère en fera son successeur : aucun doute là-dessus. Et pourquoi ? Parce que Tibère est ce qu’il est. Il a la même vanité que le pauvre Auguste : il ne peut pas supporter l’idée que son successeur pourrait être plus populaire que lui. Mais en même temps il fait tout ce qu’il peut pour qu’on le craigne et qu’on le haïsse. Aussi, quand il sentira que son heure approche, devra-t-il chercher pour lui succéder quelqu’un d’un peu plus mauvais que lui. Et il trouvera Caligula. Caligula a déjà commis une action qui le place dans la hiérarchie du crime bien au-dessus de ce que pourra jamais atteindre Tibère…
    — Je t’en prie, grand-mère… supplia Caligula.
    — C’est bon, monstre : ton secret sera bien gardé tant que tu te tiendras à ta place.
    — Urgulanie sait-elle ce dont il s’agit ? demandai-je.
    — Non : c’est un secret entre le monstre et moi.
    — L’a-t-il avoué spontanément ?
    — Certainement non : il n’est pas de ceux qui avouent. Je l’ai découvert par hasard. Je fouillais sa chambre à coucher pour voir s’il ne préparait pas à mes dépens quelque farce de collégien – un peu de magie noire, par exemple, ou une petite distillation de poison. Et j’ai trouvé…
    — Je t’en prie, grand-mère.
    — Un objet vert qui m’a appris des choses fort intéressantes… Mais je le lui ai rendu.
    Urgulanie eut un sourire forcé.
    — Thrasylle dit que je dois mourir cette année ; aussi n’aurai-je pas le plaisir de vivre sous ton règne, Caligula, à moins que tu ne te dépêches de tuer Tibère.
    Je me retournai vers Livie :
    — Doit-il vraiment le tuer, grand-mère ?
    Caligula interrompit :
    — Ne risquons-nous rien en disant tout cela à oncle Claude ? Ou bien as-tu l’intention de l’empoisonner ?
    — Oh ! nous ne risquons rien : pas besoin de poison, répondit-elle. Je voudrais que vous fissiez plus ample connaissance, tous les deux, et c’est une des raisons de ce dîner. Écoute, Caligula. Ton oncle Claude est un phénomène. Il est si vieux jeu que son serment d’aimer et de protéger les enfants de son frère te permet d’abuser de lui pendant le reste de tes jours. Écoute, Claude. Ton neveu Caligula est aussi un phénomène. Il est fourbe, lâche, débauché, vaniteux, menteur, et il te jouera sans doute plus d’un mauvais tour. Mais rappelle-toi une chose : il ne te tuera jamais.
    — Pourquoi cela ? demandai-je, vidant ma coupe une fois de plus.
    La conversation ressemblait à celles que l’on tient dans les rêves : abracadabrante, mais pleine d’intérêt.
    — Parce que c’est toi qui dois venger sa mort.
    — Moi ? qui l’a dit ?
    — Thrasylle.
    — Et Thrasylle ne se trompe jamais ?
    — Jamais. Caligula sera assassiné, et c’est toi qui vengeras sa mort.
    Un silence morne nous enveloppa jusqu’au dessert. À ce moment Livie me dit :
    — Allons, Claude, le reste de notre entretien sera confidentiel.
    Les deux autres se levèrent et nous laissèrent seuls.
    — Quelle étrange conversation, grand-mère ! lui dis–je. Est-ce ma faute ? avais-je trop bu ? Certaines plaisanteries, de nos jours, sont dangereuses. Ne sommes-nous pas allés trop loin ? J’espère que les serviteurs…
    — Oh ! ce sont des sourds-muets. Non, ne regrette pas d’avoir bu. La vérité est dans le vin, et en ce qui me concerne cette conversation a été des plus sérieuses.
    — Mais… mais si tu penses vraiment que Caligula est un monstre, pourquoi le protèges-tu ? Pourquoi ne pas soutenir Néron qui est un brave garçon ?
    — Parce que c’est

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