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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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tête ?
    — Grand-mère, répondis-je, je jurerai sur ma tête pour ce qu’elle vaut, mais à une condition.
    — Tu oses me faire des conditions, à moi ?
    — Oui, après ma vingtième coupe. C’est d’ailleurs une condition simple. Après trente-six ans de négligence et d’aversion tu ne t’attends sûrement pas que je te rende un service sans condition, n’est-ce pas ?
    Elle sourit :
    — Voyons la condition.
    — Il y a beaucoup de choses que je voudrais savoir. Et d’abord, qui a tué mon père ? qui a tué Agrippa ? qui a tué mon frère Germanicus ? qui a tué mon fils Drusillus ?
    — Quel besoin as-tu de savoir tout cela ? Quelque espoir imbécile de venger leurs morts sur moi ?
    — Non – pas même si c’était toi la meurtrière. Je ne me venge jamais, à moins d’y être tenu par serment. Je crois que le mal porte en lui sa punition. Tout ce que je voudrais, c’est connaître la vérité. Je suis historien : la seule chose qui m’intéresse vraiment est de découvrir pourquoi et comment les choses arrivent. J’écris l’histoire pour me renseigner moi-même bien plus que pour renseigner mes lecteurs.
    — Le vieil Athénodore a eu beaucoup d’influence sur toi, à ce que je vois.
    — Il était bon pour moi et je lui en étais reconnaissant : c’est ainsi que je suis devenu stoïcien, comme lui. Je ne me suis jamais mêlé aux discussions philosophiques – cela ne m’intéresse pas – mais j’ai adopté la manière stoïcienne de regarder les choses. Tu peux être sûre que je ne répéterai pas un mot de ce que tu me diras.
    Elle finit par se laisser convaincre, et pendant quatre heures ou plus je lui posai les questions les plus détaillées. Elle répondait sans réticence, avec le calme d’un intendant campagnard relatant au propriétaire les incidents de la basse-cour. Oui, elle avait empoisonné mon grand-père – non, pas mon père, en dépit des soupçons de Tibère, c’était vraiment la gangrène. Oui, elle avait empoisonné Auguste en badigeonnant de poison les figues encore attachées à l’arbre. Elle me raconta toute l’histoire de Julie et celle de Postumus, telles que je les ai rapportées. Oui, elle avait empoisonné non seulement Marcellus et Caius, mais Agrippa et Lucius. Oui, elle avait intercepté mes lettres à Germanicus – mais non, elle ne l’avait pas empoisonné : Plancine l’avait fait de sa propre initiative. Elle l’avait cependant condamné – comme mon père, d’ailleurs, et pour la même raison.
    — Quelle raison, grand-mère ?
    — Il voulait rétablir la République. Comprends-moi bien : pas en violant son serment de fidélité à Tibère. Il m’aurait écartée, moi ; puis il aurait décidé Tibère à prendre lui-même l’initiative du mouvement et à en recueillir tout le mérite, tandis que lui, Germanicus, resterait dans l’ombre. Il y avait presque réussi. Tu sais quel couard est Tibère. Il m’a fallu lutter ferme, faire une quantité de faux et dire une quantité de mensonges pour l’empêcher de faire l’imbécile. J’ai même été forcée de m’arranger avec Séjan. Ces idées républicaines sont une infection héréditaire dans la famille. Ton grand-père les avait.
    — Moi aussi.
    — Encore ? C’est drôle. Néron aussi, à ce que je crois : cela ne lui portera pas bonheur. C’est inutile de discuter avec vous autres républicains. Vous ne voulez pas voir que chercher à rétablir la République à l’époque actuelle, c’est vouloir, par exemple, imposer aux femmes et aux maris modernes les sentiments de la chasteté antique. Autant essayer de faire reculer l’ombre sur un cadran solaire : on ne peut pas, voilà tout.
    Elle m’avoua que c’était elle qui avait fait étrangler Drusillus. Puis elle me dit combien j’avais frôlé la mort de près la première fois que j’avais écrit à Germanicus pour lui parler de Postumus. Si elle m’avait épargné, c’était uniquement dans l’espoir qu’une de mes lettres lui révélerait la retraite de ce dernier. Mais ce qu’elle me confia de plus intéressant, c’est sa méthode d’empoisonnement. Je lui posai la même question que Postumus : était-elle partisan des poisons lents ou des poisons rapides ? Elle répondit sans le moindre embarras qu’elle préférait les doses répétées d’un poison lent et insipide dont les effets avaient l’apparence de la consomption.
    Je lui demandai aussi comment elle

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