Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
Vom Netzwerk:
comprenais rien. Son cher petit-fils ! Et ce souci de ma santé ! Je ne savais si je devais rire ou avoir peur. De ma vie je n’avais été autorisé à lui rendre visite le jour de son anniversaire ; je n’avais même jamais dîné à sa table, et il y avait dix ans que je n’avais échangé deux mots avec elle, sinon d’une manière officielle, au Festival d’Auguste. Que pouvait-elle bien me vouloir ? Enfin, je le saurais dans trois jours. En attendant, il fallait que je lui fisse un présent vraiment magnifique. Je me décidai pour un objet qui ne pouvait manquer de lui plaire : un vase à vin en bronze, avec des anses en forme de tête de serpent et de nombreuses incrustations d’argent et d’or. Cela venait de Chine et c’était à mon avis beaucoup mieux travaillé que ces vases de Corinthe dont les collectionneurs donnent aujourd’hui des prix fabuleux. Au centre était placé un médaillon d’Auguste, qui avait été s’égarer, je ne sais comment, jusque dans ce pays lointain. Le vase n’avait que dix–huit pouces de haut, mais il me coûta cinq cents pièces d’or.
    Mais avant de parler de mon entrevue avec Livie il faut que je remette les choses au point à propos de Tibère. D’après ce que j’ai dit des procès de haute trahison et autres atrocités du même genre, on aura sans doute conclu que tout allait mal dans le gouvernement de l’Empire. Bien loin de là. Du point de vue de l’Empire en général, Tibère fut pendant douze ans un maître juste et avisé. Le ver qui rongeait le cœur de la pomme – qu’on me passe la comparaison – n’arrivait pas jusqu’à la peau et ne gâtait en rien la qualité de la pulpe. Sur cinq millions de citoyens romains, deux ou trois cents seulement furent victimes des fureurs jalouses de Tibère. Et je ne parle pas des millions d’esclaves, de provinciaux et d’alliés qui tirèrent profit des méthodes impériales inaugurées par Auguste et Livie et fidèlement continuées par lui. Pour moi, qui vivais pour ainsi dire au cœur de la pomme, on peut me pardonner de parler plus souvent du ver rongeur que de l’extérieur encore intact et savoureux.
    … Tu t’es laissé aller à faire une comparaison, Claude, et voici maintenant que tu la poursuis trop loin. Aurais-tu oublié les recommandations d’Athénodore ? Allons, traite Séjan d’asticot et que ce soit fini ! reviens maintenant au style sans prétention qui t’est habituel.
    Séjan résolut de se servir de la honte de Tibère pour l’éloigner plus complètement de Rome. À son instigation, un des officiers de la Garde accusa un bel esprit fameux, appelé Montanus, d’avoir noirci la réputation de l’Empereur. Or, tandis que jusque-là on avait empêché les accusateurs de rapporter en justice autre chose que des insultes de l’ordre le plus général – tyran, cruel, etc. – cet officier attribua à Montanus des diffamations fort précises et on ne peut plus personnelles. Séjan veilla à ce que ces médisances fussent aussi véridiques que dégoûtantes ; bien entendu Montanus, moins au courant que lui de ce qui se passait au palais, n’en avait pas prononcé le premier mot. Le témoin, qui était le meilleur officier instructeur de toute la Garde, hurla les prétendues obscénités de Montanus de sa plus belle voix de commandement, sans glisser sur les mots les plus crus ni se laisser arrêter par les protestations indignées des sénateurs. « J’ai juré de dire toute la vérité, beuglait-il, et pour l’honneur de Tibère César je n’omettrai pas un seul mot de la conversation ignoble que j’ai surprise ! L’accusé a déclaré que l’Empereur devenait impuissant par suite de ses débauches et de l’emploi exagéré d’aphrodisiaques, et que pour ranimer sa virilité mourante il donnait tous les trois jours environ des exhibitions privées dans une salle souterraine spécialement décorée à cet effet. L’accusé a déclaré que les acteurs de ces exhibitions – les Spintriens, comme on les appelle – entrent en gambadant, trois par trois, entièrement nus… »
    Tibère le laissa continuer sur ce ton pendant une demi-heure sans oser l’arrêter – peut-être aussi voulait-il savoir au juste jusqu’à quel point l’homme étaitau courant. Enfin celui-ci dit un mot de trop – peu importe lequel. Tibère, perdant la tête, bondit, le visage cramoisi, et déclara qu’il tenait à se justifier sur-le-champ de ces accusations

Weitere Kostenlose Bücher