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Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
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jours plus tard il invita Agrippine à un banquet. Il invitait souvent à dîner les gens dont il se méfiait le plus : tout le long du repas il les fixait comme pour lire leurs plus secrètes pensées, ce qui en général les mettait assez mal à l’aise. S’ils avaient l’air effrayé il les jugeait coupables : s’ils restaient calmes il les jugeait plus coupables encore, et insolents par-dessus le marché. Ce jour-là Agrippine, encore souffrante et incapable de prendre la moindre nourriture sans nausée, se sentait fort gênée sous le regard insistant de Tibère. Elle n’était pas bavarde : la conversation, qui roulait sur les mérites relatifs de la musique et de la philosophie, ne l’intéressait pas, et elle se sentait incapable d’y prendre part. Elle faisait semblant de manger, mais Tibère, qui ne la quittait pas des yeux, la voyait renvoyer son assiette toujours pleine. Il pensa qu’elle le soupçonnait de chercher à l’empoisonner. Pour s’en assurer il choisit avec soin une pomme dans un plat qui se trouvait devant lui et la lui tendit en disant : « Ma chère Agrippine, tu n’as presque rien mangé : goûte au moins cette pomme ; elle est excellente. Le roi des Parthes m’a fait présent de jeunes pommiers il y a trois ans et c’est la première fois qu’ils donnent des fruits. »
    Chacun de nous a, si je puis dire, un « ennemi naturel ». Pour certaines personnes le miel est un poison violent. D’autres sont malades si elles touchent un cheval ou entrent dans une écurie, parfois même seulement si elles couchent sur un divan rembourré de crin. D’autres encore sont très désagréablement affectées par la présence d’un chat et diront en entrant dans une pièce : « Il y a eu un chat ici : permettez que je me retire. » Pour moi, j’éprouve une répugnance invincible pour le parfum de l’aubépine en fleur. Or l'« ennemi naturel » d’Agrippine était précisément la pomme. Elle prit celle que lui offrait Tibère et le remercia, non sans dissimuler un frisson ; puis elle dit qu’elle garderait le fruit pour le manger à la maison.
    — Une seule bouchée, pour voir comme elle est bonne.
    — Pardonne-moi, mais vraiment je ne puis. Elle passa la pomme à un serviteur en lui recommandant de l’envelopper avec soin dans une serviette.
    Comment Tibère ne la fit-il pas immédiatement arrêter pour haute trahison, ainsi que l’y poussait Séjan ? C’est qu’Agrippine était encore sous la protection de Livie.
     

24
     
     
    J’en arrive à mon dîner chez Livie. Elle me reçut très aimablement et parut sincèrement enchantée de mon cadeau. À part moi, il n’y avait comme invités que la vieille Urgulanie et Caligula : celui-ci était maintenant un grand garçon pâle d’une quinzaine d’années, aux yeux creux et au teint bourgeonné. Livie me surprit par la vivacité de son esprit et la clarté de sa mémoire. Elle me questionna sur mes travaux : je commençai à parler de la première Guerre punique et mis en doute certains détails donnés par le poète Nævius, qui avait pris part à la guerre. Livie me donna raison, mais me reprit pour une citation inexacte.
    — Ne m’es-tu pas reconnaissant maintenant, me dit-elle, de t’avoir empêché d’écrire cette biographie de ton père ? Crois-tu que sans cela tu serais ici ce soir ?
    Chaque fois que l’esclave remplissait ma coupe je la buvais d’un trait ; j’en avais déjà vidé dix ou douze et me sentais le courage d’un lion. Je répondis hardiment :
    — Très reconnaissant, grand-mère, de me trouver à l’abri parmi les Carthaginois et les Étrusques. Mais me diras-tu au juste pourquoi en effet je suis ici ce soir ?
    Elle sourit :
    — Oui, j’avoue que ta présence à table me cause encore un certain… Mais peu importe. Si j’ai dérogé à un de mes plus vieux principes, c’est mon affaire et non la tienne. Me détestes-tu, Claude ? Sois franc.
    — Probablement autant que tu me détestes toi-même, grand-mère. (Je ne reconnaissais pas ma propre voix.)
    Caligula et Urgulanie ricanèrent : Livie éclata de rire.
    — Voilà au moins de la franchise. À propos, as-tu remarqué ce monstre-ci ? Il s’est tenu singulièrement tranquille pendant le dîner.
    — Qui cela, grand-mère ?
    — Ton neveu.
    — C’est donc un monstre ?
    — Ne fais pas semblant de l’ignorer. Tu es un monstre, n’est-ce pas, Caligula ?
    — Comme tu voudras, grand-mère,

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