Bücher online kostenlos Kostenlos Online Lesen
Moi, Claude

Moi, Claude

Titel: Moi, Claude Kostenlos Bücher Online Lesen
Autoren: Robert Graves
Vom Netzwerk:
et la découverte par Séjan d’une conspiration dangereuse. « Ayez pitié, seigneurs, d’un malheureux vieillard forcé à vivre dans une appréhension continuelle, tandis que les membres de sa propre famille complotent perfidement contre lui. » L’allusion à Agrippine et à Néron était claire. Gallus se leva et proposa qu’on demandât à l’Empereur d’exposer ses craintes au Sénat : sans doute celui-ci saurait-il les apaiser. Mais Tibère ne se sentait pas encore assez fort pour se venger de Gallus.
    L’été de cette année-là, Livie et Tibère – l’une en litière, l’autre à cheval – se rencontrèrent par hasard dans la grande rue de Naples. Tibère débarquait de Capri et Livie revenait d’Herculanum. Il voulait passer sans la saluer, mais la force de l’habitude lui fit tirer sur les rênes et s’enquérir de la santé de sa mère sur un ton de cérémonie.
    — Je n’en vais que mieux depuis que tu t’intéresses aussi aimablement à moi, mon garçon, dit-elle. Et je vais te donner un conseil maternel : méfie-toi du barbeau que tu manges dans ton île. On en pêche parfois de fort venimeux.
    — Merci, mère, répondit-il. Puisque l’avertissement vient de toi je m’en tiendrai désormais religieusement au thon et au mulet.
    Livie grommela et se tournant vers Caligula qui l’accompagnait, dit à voix haute : « Comme j’étais en train de te le raconter, mon mari (ton arrière-grand–père, mon enfant) et moi descendions cette rue par une nuit obscure, il y a soixante-cinq ans, en courant vers le port où notre bateau était amarré. Nous nous attendions à chaque instant à être arrêtés et tués – comme cela semble étrange ! – par les soldats d’Auguste. Mon fils aîné – nous n’avions qu’un enfant à cette époque – était à cheval sur les épaules de son père. Tout à coup ne voilà-t-il pas que cette petite brute pousse un hurlement terrifié : « Papa, je veux retourner à Pérou… ou… ouse ! » Nous étions découverts. Deux soldats sortirent d’une taverne et nous interpellèrent. Nous nous glissâmes sous un porche obscur pour les laisser passer. Mais Tibère continuait à hurler : « Je veux retourner à Pérou… ou… ouse ! – Tue-le ! dis-je. Tue le marmot. C’est notre seule chance. » Mais mon mari fit de la sensiblerie et refusa. Nous n’en réchappâmes que par miracle. »
    Tibère, qui s’était arrêté pour entendre la fin de l’histoire, éperonna son cheval et s’éloigna furieux au grand galop. Livie et lui ne devaient jamais se revoir.
    L’avertissement de Livie au sujet du poisson n’avait pas d’autre objet que d’inquiéter Tibère en lui faisant croire qu’elle avait soudoyé ses cuisiniers. Elle savait qu’il adorait le barbeau et serait perpétuellement tiraillé entre son appétit et sa crainte de l’assassinat. Mais l’histoire eut des suites pénibles. Un jour Tibère était assis sous un arbre, sur le versant ouest de l’île, occupé à composer un dialogue en vers grecs entre le lièvre et le faisan, dont chacun revendiquait la prééminence gastronomique. Ce n’était pas une idée originale : il avait tout récemment donné deux mille pièces d’or à un de ses poètes pour une pièce analogue, dans laquelle les rivaux étaient un champignon, une alouette, une huître et une grive. Cette fois il déclarait qu’aucun de ces derniers ne méritait la couronne de persil qui faisait l’enjeu de la lutte : seuls le lièvre et le faisan avaient de la dignité sans lourdeur, de la délicatesse sans mesquinerie.
    Il cherchait un adjectif méprisant à appliquer à l’huître quand il entendit un bruit soudain dans les fourrés au-dessous de lui et vit apparaître un homme d’aspect sauvage, aux cheveux en broussaille. Ses vêtements étaient trempés et en lambeaux, son visage saignait et il tenait un couteau ouvert à la main. Il bondit hors du fourré en s’écriant : « Regarde, César, n’est-ce pas une merveille ? » Du sac qu’il portait sur l’épaule il tira un barbeau monstre qu’il jeta, encore palpitant, aux pieds de Tibère. C’était tout bonnement un pêcheur qui venait de faire cette prise magnifique et qui, apercevant l’Empereur sur la falaise, avait eu l’idée de la lui offrir. Il avait amarré sa barque à un rocher, nagé jusqu’à la falaise, grimpé par un sentier abrupt, et s’était taillé un chemin à travers les épines avec son

Weitere Kostenlose Bücher